Quand on est tous ensemble à se parler, on est en vie éternelle.

Daniel — Parole des pauvres

Le sappel

actualités

No 78
journal du sappel / Mai 2010 La relation

Les personnes en grandes difficultés et la vie de relation.

Nous poursuivons la publication des travaux du forum que nous avions organisé lors des 20 ANS DU SAPPEL. Voici l’intervention de Françoise Blaise-Kopp, psychologue, qui a introduit cet atelier

« J'ai préparé quelque chose de général qui nous concerne tous. Nous sommes tous des "anciens bébés" : c'est important de se dire que nous avons été à un moment de notre vie à la merci d'autres personnes. Nous savons chacun d'expérience ce que c'est que d'avoir été porté plus ou moins bien par notre entourage.

Qu'est-ce que nous nous apportons les uns aux autres ?

On ne peut pas donner autre chose que ce que l'on est. On ne peut se donner mutuellement que quand on est présent. Paola disait : « J'ai le ventre qui crie famine ». On dit souvent : « ventre affamé n'a pas d'oreille ». Quand on a trop faim, on ne peut rien entendre et on devient inattentif les uns aux autres.

Je me souviens de l'histoire d'une famille, avec un enfant, pendant la guerre. A l'heure du repas, le petit gars a reçu une partie d'éboulement dans son assiette d'œuf. Evidemment l'œuf n'a pas pu être mangé : ça a été un événement terrible pour lui. Je pense que parfois il nous arrive des choses terribles : la pauvreté, la misère sont terribles et laissent des traces qui nous font mal et qui sont présentes aussi quand nous sommes en relation les uns avec les autres. Ces traces restent présentes à l'intérieur de nous-mêmes.

Quand nous échangeons les uns avec les autres, c'est important de se dire que chacun, nous sommes présents, nous sommes là, nous avons été d'anciens bébés qui ont été à la merci des autres. Même si nous avons une enveloppe merveilleuse de politesse, quand on enlève l'enveloppe du cadeau, on retrouve ce que l'on est.

Nous n'avons rien d'autre à nous donner que ce que nous sommes: c'est un trésor.

Et ce trésor ne se révèlera pas à nous-même si nous ne le partageons pas avec les autres.

L'autre est toujours un mystère, une surprise et je ne peux jamais en faire le tour. On a entendu cela dans la pièce de théâtre jouée au forum: « Je connais votre vie, je connais votre dossier »; en fait, qui que nous soyons nous ne connaissons jamais le fond du cœur de l'autre. Il faut qu'il puisse être révélé par les autres. Il faut toujours se souvenir que tant du côté des riches que de celui des pauvres, nous sommes toujours fermés de l'intérieur. La serrure est fermée du dedans contrairement à nos maisons où les serrures sont fermées du dehors quand nous partons. Le passage pour se rencontrer se fait par l'ouverture du dedans et, nous nous apportons des choses les uns aux autres quand nous nous rencontrons. Mais parfois il y a des rencontres ratées, car nous ne comprenons pas, et il se peut aussi que nous nous absentions de nous mêmes.

Que m'apportent les personnes qui vivent de grandes difficultés ?

Je vais vous raconter une de mes rencontres. J'ai un oncle qui était très malade, il souffrait de la maladie d'Alzheimer : j'allais le voir car je l'aimais bien. Il m'avait beaucoup apporté quand j'étais arrivée seule à Lyon ; il me prêtait des livres, me faisait écouter de la musique. Il est tombé malade à la suite de sa vie professionnelle. J'ai eu plaisir à aller le voir. Un jour qu'il était "dans son monde", j'étais bien avec lui, mais il n'y avait pas de rencontre, il ne disait rien. J'ai ramené mon oncle à sa table, il m'a regardé dans les yeux, il a pris ma deuxième main et m'a dit : « merci, cela m'a refiguré ». Ce n'est pas un mot français, pourtant on comprend tous ce que cela veut dire. Ce sont des choses inoubliables : même si j'avais l'impression qu'il n'y avait pas de rencontre, qu'il n'avait rien dit, lui, m'a dit, à sa manière : "Oui, il s'est passé quelque chose". Nous avons été en présence l'un de l'autre.

C'est important parfois de ne pas se juger si l'on n'a pas été bien. Oser dire : « J'ai fait ce que j'ai pu aujourd'hui ».

Dans toutes les familles riches ou pauvres, nous sommes confrontés à la difficulté d'élever nos enfants, d'être présents à eux, de les comprendre. L'un des secrets dans la vie familiale, c'est d'accepter de ne pas toujours comprendre ; les parents sont ceux qui vont aimer le plus leurs enfants, mais ils ne les comprendront pas toujours. Quand on se sent responsable, c'est très difficile d'accepter de ne pas comprendre.

Ce qui va nous aider et nous permettre de surmonter de grandes difficultés, c'est la présence des autres. Pas seulement de la famille mais aussi des amis : j'aime bien quand on parle des amis du Sappel. La communauté de vie, ce sont les amis, ceux qui n'ont pas peur de la contagion, c'est fondamental. L'autre est un humain comme moi, il a sa dignité comme moi, et tant que l'autre est vivant quelque chose est possible pour lui. Nous pouvons échanger une histoire, même si elle est compliquée, voire douloureuse, elle est toujours humaine.

On a parfois le désir d'aider mais on ne peut pas être à la place de l'autre, sinon il n'y a plus de place pour lui. Je suis là et, malgré la souffrance que je voudrais prendre de lui, lui il doit faire son chemin : je peux être à ses côtés et le soutenir.

Ce que les autres m'apportent ce sont les leçons de courage, même si j'ai du mal à les comprendre.

Que nous révèle le Christ ?

La relation dans l'échange vrai, le pardon, la réconciliation, c'est cela qui va devenir facteur de fraternité. L'étape importante c'est la possibilité d'accueillir l'expérience de chacun dans la relation du « je » avec Dieu.

Comme chrétiens, nous sommes dans un double enracinement : des racines familiales et des racines baptismales. Quand nous sommes baptisés nous sommes greffés sur le Christ vivant. C'est une grâce que nous apportent les familles qui ont vécu la pauvreté. Se dire que même si nous avons été aimés dans notre famille, même si nous avons reçu beaucoup, même si..., je sais que Celui en qui je mets mon espérance et sur qui je compte : c'est le Christ vivant, le seul Sauveur. Personne ne peut être le sauveur de l'autre : pour nous, chrétiens, un Sauveur nous est , un Fils nous a été donné, un Frère qui nous amène à un Père. Un Père unique qui nous introduit dans une Fraternité.

Quand on retrouve ses enfants,
Quand on trouve un sourire joyeux,
Quand on prie Dieu,
C
'est la paix.
Quand on peut s'aimer à loisir,
Quand
on peut espérer beaucoup de choses,
C
''est la paix. (atelier d'écriture du Sappel)

Tout ce partage nous fera vivre et nous donnera de grandir dans la fraternité.

De quelle communauté chrétienne on rêve ?

A un moment donné les générations d'avant ont dit : « Il faut laisser la place aux jeunes ». On a laissé les jeunes entre eux pour qu'ils puissent trouver leur parole de jeunes, et maintenant les jeunes sont entre eux et disent : " Il faut aussi que l'on soit avec les autres de manière à s'accueillir." L'idéal c'est d'avoir un temps entre jeunes et un temps entre aînés, un temps entre les femmes, un temps entre les hommes et avoir des temps d'interaction en permanence plus adaptées. Chaque fois que l'on peut mettre ensemble nos "cinq pains et nos deux poissons" en disant : « et si on essayait et si on faisait un peu différemment », on gagne un peu sur le mal. Il viendra en son temps, mais on aura gagné un tout petit peu. La répétition qui n'apporte pas de nouveauté, c'est à dire "on a toujours fait comme cela", "on ne voit pas pourquoi on changerait", c'est cela que je remets en cause.

Nous avons besoin de rites, qui balisent notre vie, mais ce qui est important, c'est de donner du souffle à l'intérieur de ces rites. Ensemble, riches et pauvres, nous avons besoin de nous interpeller pour redonner sens à ces rites avec audace. »

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