Quart-Monde
« Le père Joseph croyait à tout ce qu'il faisait. Il y croyait tellement que ça faisait comme un fil qui raccommodait tout le monde. Tout le monde était décousu. Il raccommodait le lien. » (Sarah A.)
Le Mouvement ATD Quart Monde se bat depuis sa création pour une conviction : le combat contre la pauvreté doit se faire « avec » les pauvres et non pas « pour » les pauvres. Le mouvement nait en 1957 en France, au camp de Noisy-le-Grand, où venaient d'arriver quelques 300 familles démunies, rassemblées là par l'Abbé Pierre.
« Une intuition forte du p. Joseph Wresinski allait changer ce regard porté sur les pauvres : l'intuition de se trouver non face à des cas sociaux individuels, mais face à un peuple, avec une même manière de faire face aux manques, les mêmes angoisses d'expulsion et de placement des enfants, les mêmes expériences de sous-emplois et d'assistance.
Selon le p. Joseph Wresinski, le seul moyen de lutter contre la misère est alors de rendre à ce peuple sa dignité, en rompant avec la fatalité de la transmission de la misère de père en fils et avec la croyance d'être les seuls responsables de cette situation : 'Tous ceux qui ont vraiment fait avancer les pauvres, les ont libérés d'abord d'eux-mêmes. Ils leur ont rendu la dignité et la confiance en eux. Ils ont cru en eux et les ont convaincus qu'ils n'étaient pas coupables d'une misère que l'histoire leur avait léguée.' »
Très vite, en rencontrant les familles de Noisy-le-Grand, le p. Joseph se promet de faire gravir à ce peuple les marches de l'Élysée, de L'ONU, du Vatican !
Pourtant, il était loin d'être évident de faire émerger cette notion de peuple ! Le p. Joseph écrit en 1983 :
« Nous ne connaissons guère la réalité du peuple sous-prolétaire, car il nous montre un visage trop ravagé et il nous est difficile d'établir avec lui des rapports de fraternité et de compréhension. Plus nous allons et plus nous nous enferrons, d'ailleurs, dans le refus de voir en lui un peuple. Reconnaître son existence reviendrait à nous reconnaître coupables. Nous faisons donc tout pour l'empêcher de se manifester comme un milieu. En fait, l'incapacité de le comprendre devient refus de le comprendre ; nous le nions. Au lieu de valoriser le milieu, d'en faire la rampe de départ d'une libération, au lieu de reconnaître ses valeurs et de les accepter comme elles sont vécues, nous prétendons protéger les familles de leurs semblables, les fractionnant en cas isolés. »
En 1980, il disait à un groupe de juristes, philosophes, volontaires :
« Pourtant, la réalité du Quart-Monde est universelle : les plus pauvres sont exclus dans tous les pays, dans toutes les civilisations du monde. Ils l'ont été à travers tous les âges. C'est la découverte qui a le plus marqué le Mouvement ATD : intuition d'abord, puis constat vérifié sans cesse par l'expérience, l'étude, la recherche.»
En leur temps, Marx et Engels définissaient les aïeux du Quart-Monde de notre temps comme le « Lumpenprolétariat » (prolétariat en haillon) : «masse nettement distincte du prolétariat industriel, pépinières de voleurs et de criminels de toute espèce, vivant des déchets de la société, individus sans métier avoué, rôdeurs, gens sans feu ni aveu.» Le p. Joseph Wrésinski commente ainsi: « Voilà une description de la misère que l'on retrouve dans la bouche des non-pauvres à toutes les époques et sur tous les continents.»
Et de la même façon à travers le monde, des réalités très différentes vont faire se regrouper les familles les plus pauvres et vont faire qu'un peuple va se constituer à partir de l'exclusion qu'il subit, et à partir de ce qu'il crée de résistance à cette exclusion en s'accueillant, en se regroupant et en développant, même sans l'expliciter, une pensée commune qui émerge quand on lui en donne l'occasion... « Ce n'est pas la situation commune qui crée le peuple. C'est la résistance à cette situation qui crée une reconnaissance à un destin commun, à la fois un repli de survie ensemble et une espérance inaudible, mais espérance quand même...».
Enfin, ce peuple du Quart-monde devrait pouvoir prendre petit à petit sa place au sein, au cœur du Peuple de Dieu, comme l'exigerait la vocation de nos communautés chrétiennes.
En juillet 2016, recevant à Rome le pèlerinage « Siloé », le Pape François recommandait de susciter autour des plus pauvres « une communauté, leur rendant de cette manière, une existence, une identité, une dignité.»
Sources :
1 OCDE Document : « Les dimensions cachées de la pauvreté »
2 « Les pauvres sont l'Église » p. 76 - Entretiens du P. J. Wresinski avec J. Anouil Le Centurion
3 « Refuser la misère » p. 174 Joseph Wrésinski - Textes rassemblés par J. Tonglet 2007
4 ibid
5 G. Bureau, volontaire ATD Quart-Monde