L’aimer pour ce qu’il est… +

Solène — Témoignages

Le sappel

actualités

No 69
journal du sappel / Avril 2007 Journal

Une vie de résistance.

Robert est décédé. Un arrêt du cœur à soixante ans. C’était un des plus anciens du Sappel. Nous le connaissions depuis 25 ans. Il a lutté toute sa vie pour tenir la tête hors de l’eau. Intelligent mais très fragile des nerfs, ses angoisses persistantes étaient un fardeau dont il a toujours eu de la peine à se débarrasser.

Nous avons rencontré Robert chez son ami Pierrot qui vivait dans un grand dénuement. Au début il était très méfiant, il pensait que le Sappel était une secte. La confiance est née au moment où le fils de sa voisine s’est suicidé, il a été très touché par notre présence. Mais lui aussi était fasciné par le suicide : « Au moins là-haut on sera bien ! » Il faisait régulièrement des tentatives, il prenait une surdose de cachet puis dans un sursaut de vie, il téléphonait aux pompiers. Il s’est arrêté du jour au lendemain lorsqu’il a fait une expérience spirituelle. Au cours d’une prière avec le groupe du Sappel, il a découvert l’amour de Dieu pour lui « J’ai compris que Dieu me voulait en vie sur cette terre, il attendait quelque chose de moi, que j’aide les autres. » Depuis ce jour il n’a plus jamais été tenté et il s’est même passionné pour la Parole de Dieu.

Une enfance difficile Robert a eu une enfance difficile « Mes parents étaient très pauvres, mon beau-père était alcoolique, on était 12 enfants, on avait faim ; petit à petit qu’on grandissait, on était tous enlevés vers l’âge de 10 ans. On n’allait pas à l’école, on était des sauvages. Après j’ai été placé à l’assistance publique dans une ferme. J’étais un peu sournois, je me battais avec les enfants de l’école, mais là j’ai pris quand même de l’éducation. Quand j’en suis sorti à 21 ans, j’ai voulu rechercher mes frères et mes sœurs, mais personne n’a voulu me revoir » Parfois il parle de sa fille « Elle aurait 20 ans aujourd’hui, mais je ne la connais pas, ma femme m’a quitté lorsque je me suis retrouvé à l’hôpital. » « J’ai appris par ma mère que j’avais été baptisé, mais c’est tout, on n’avait pas d’argent pour acheter une toilette pour aller à l’église. C’est chez mes parents nourriciers qui étaient croyants qu’ils m’ont envoyé au catéchisme, j’ai fait ma communion et ma confirmation ; mais en grandissant j’ai perdu la foi, je ne voulais plus entendre parler de Dieu, et ça a duré bien 20 ans ! »

Très fragile des nerfs, en proie à des angoisses, il fait de nombreux séjours en psychiatrie dont il a un très mauvais souvenir, il gardera toujours cette hantise de devoir retourner à l’hôpital.

Depuis qu’il a retrouvé la foi, il a une grande soif de connaître la Bible, il est très participant aux rencontres. A propos d’Abraham « Lui aussi il ment comme nous, il a aussi des doutes. Moi je suis croyant mais des fois j’ai des doutes, pourquoi il y a tant de malheurs sur terre. Abraham parle de Dieu à tout le monde, moi je ne peux pas je n’oserais jamais. J’en parle avec mon aide ménagère, mais elle dit qu’elle ne connaît rien à tout çà, puis elle ajoute : priez pour moi ! » La résurrection est pour lui très importante, il n’accepte pas qu’on en parle légèrement « Il y en a qui disent que c’est trouver du travail, avoir des amis, trouver un logement....je ne suis pas d’accord, pour moi c’est la vie éternelle après la mort ! Moi je suis choqué qu’on ne prenne presque jamais le sang du Christ, pourtant c’est drôlement important le sang çà donne la force. »

Au bout de quelques années il finit par dire « Avec le Sappel je me sens intelligent ! » C’est vrai qu’il est moteur dans le groupe, il a beaucoup d’ascendant sur les autres, il comprend vite les enjeux ; parfois il a du mal à accepter les plus blessés, cela lui rappelle trop les périodes où il était dans le noir. Parfois il fait pression sur nous pour que nous excluions certaines personnes ; mais devant notre intransigeance, plusieurs fois il nous quitte durant quelques mois. On sent que ce chemin spirituel lui ouvre d’immenses horizons, mais en même temps c’est une épreuve parce qu’il se rend compte des limites aux quelles il bute. Il a tellement de lacunes scolaires, de difficultés de socialisation, de fragilités nerveuses qu’il ne peut plus prétendre à la place qu’il rêve dans la société. Cela fait grandir sa révolte contre un monde qui écrase ceux qui sont en échec « S’ils nous donnent le RMI, c’est pour qu’on ferme notre gueule, nous c’est du travail qu’on veut ! »

La révolte C’est sans doute la raison pour laquelle un jour, alors qu’il héberge un cousin, celui-ci lui dit « Tu es un pauvre con de vivre avec si peu, on va acheter un flingue et une voiture et on va faire des casses ! » Robert se laisse entraîner.

Très vite ils se retrouvent en prison à Dijon. Robert ne cherche pas à reprendre contact avec le Sappel, il est trop humilié d’être retombé si bas. Pourtant à l’occasion de la fête de Noël, nous nous risquons à faire le premier pas, il est soulagé ! Quelques mois plus tard du fond de sa prison il nous écrit « Tu vas me prendre pour un fou, mais aujourd’hui je suis heureux, car Dieu est dans mon coeur. Dommage qu’ici, si peu de gars croient en Dieu. » Physiquement, il est enfermé, mais dans son coeur il est libre. Au milieu de son désespoir, il fait l’expérience de l’amour, qui est bien plus déterminante pour lui que celle de l’enfermement. Tout au long de ce séjour, il réfléchit sur sa vie, sa foi « J’accepte ma peine, car j’ai le pardon du Seigneur... Ce n’est pas maintenant que c’est dur, ce sera après à la sortie.... Il faut prier pour moi, moi ici je prie à ma façon, seul c’est dur, je pense que Dieu m’aime quand même. J’ai pensé à Jésus quand il a vu ses bourreaux et j’ai pris du courage. Le dimanche je vais à la messe ; je fais venir l’aumônier chaque semaine, les autres se foutent de moi, mais je m’en fiche, moi, personne ne pourra m’empêcher de croire, avec Dieu on est jamais seul ! »

Son procès en Assise a lieu deux ans après, c’est alors qu’il demande pardon à sa victime, une des femmes qu’il avait agressée dans son bar pour lui voler sa recette. Le premier jour, celle-ci refuse « C’est trop facile, il fait ça pour réduire sa peine. » Puis le lendemain, dès son entrée au tribunal, Robert s’adresse de nouveau solennellement à sa victime « J’ai besoin de votre pardon, sinon je ne pourrai plus me regarder en face. » Touchée par sa sincérité, la femme lui accorde son pardon. Ce fut un grand moment dans ce tribunal à l’ambiance glaciale.

Sa peine est assez clémente, il prend deux ans, il peut donc sortir quelques mois plus tard. Nous l’hébergeons, le temps qu’il trouve un logement. Il est très discret et il s’émerveille de tout. Il fait plaisir à voir. Après cette période d’état de grâce, il a une longue période de combat spirituel. Il est malade du cœur mais il ne veut pas se soigner, il est complètement bloqué par rapport à un séjour à l’hôpital. Il voudrait que Dieu le guérisse. Mais lorsqu’il demande qu’on prie pour lui, il dit « Pour que j’arrive à pardonner ». Est-ce en rapport avec sa famille ? En effet, il refuse de venir à la prochaine rencontre du Sappel qui a pour thème : la famille et la place du père. Il est très violent à l’évocation de son père qu’il n’a jamais connu. On ne le verra plus pendant quelques temps. Lorsqu’il revient, il s’excuse : « Je viens parce que je m’aperçois que je ne peux pas vivre sans le Seigneur, si je ne crois pas en lui, ma vie n’a plus de sens. » Juste avant Noël, il est quand même hospitalisé pour un début d’occlusion intestinale, mais il quitte l’hopital avant l’opération, quand on lui fait remarquer qu’il peut en mourir, il répond : « Je m’en fous je serai mieux là-haut, j’attends que ça ! »

Le grand amour Un jour il rencontre Anne France, c’est le grand amour, il nous écrit une lettre enthousiaste « Je suis très heureux d’avoir rencontré une jeune femme qui m’apporte beaucoup de bonheur. Je te remercie de t’avoir connu et tous les amis. Avec vous j’ai connu la vie en Dieu : la source d’eau vive qui coule dans mon âme. Avec Dieu il faut savoir attendre, il répond toujours à une demande. Tu vois, maintenant avec mon amie qui a aussi une très grande foi, je vais à la messe tous les dimanches. Je pensais que ce bonheur, c’était qu’après la mort. Je sais que le Sappel était là pour que je puisse trouver ma place dans l’Eglise. Je pense que tu dois être heureux. Je te parle de l’histoire du berger avec ses cents brebis. Moi j’étais celle qui était perdue alors il y a grande joie dans le ciel avec tous les chrétiens de la terre. » Anne France a une autre expérience de vie, elle est née dans une famille aisée, elle a un frère diacre, mais sa santé est précaire.

A partir de ce moment-là Robert prend ses distances géographiques avec le Sappel. Il veut refaire sa vie. Mais leur vie de couple n’est pas simple. Nous sentons que nous restons un lieu de référence. De l’un ou de l’autre nous avons de temps en temps un long téléphone pour confier leurs difficultés. Parfois ils passent nous voir, ils sont tout heureux d’avoir des nouvelles des uns des autres. Robert a toujours ses problèmes de cœur, il ne veut pas se faire soigner, il finira par en mourir ; une matin sa femme le trouve inanimé dans son lit. Enfin il a trouvé la Paix qu’il a cherchée toute sa vie avec passion !

Anne France a tenu à nous envoyer cette lettre qu’elle a écrite à Robert « ....Pourquoi cette absence si dure ? Nous avons vécu neuf années merveilleuses avec des hauts et des bas comme dans tous les couples. Quelques fois tu ne comprenais pas que cette vie n’est pas toujours rose. Notre dialogue était très important. Tu m’as appris la fidélité, la sincérité, le calme, l’apaisement, l’équilibre. Tu n’en voulais à personne. Ma famille te disait que la vie de couple n’est pas un long fleuve tranquille. Les amis te disaient que tu étais un gueulard, c’est vrai. Mais tu m’apportais beaucoup de douceur, de tendresse et d’Amour. Quand tu étais défaitiste, tu ne pensais qu’à retourner sur Lyon. Tu aimais beaucoup le Sappel. Ici, tu allais voir les pauvres, les malheureux. Tu m’avais appris la chanson que l’on chantait souvent : Je te bénis mon Créateur pour la merveille que je suis... ! » Dominique Paturle.

top