Souvenez-vous du visage de l’homme le plus pauvre et le plus faible que vous ayez jamais vu. +

Mahatma Gandhi — Parole de sages

Le sappel

actualités

No 84
journal du sappel / Mai–juin 2012 Journal Télécharger le journal au format PDF

INTERDITS DE SPIRITUALITE ?

            C'est le titre un peu provoquant du livre de Gwennola RIMBAUT, professeur de théologie pratique à la Faculté catholique d'Angers. Le livre est le fruit  d'une réflexion qu'elle a menée en collaboration avec les familles du Quart Monde qui se rencontrent à Toulouse avec les Sœurs de la Bonne Nouvelle

(Les pauvres, interdits de spiritualité ? - Edition L'harmattan - Paris 2009).

 

            Ce livre est d'abord lié à l'existence d'un recueil des témoignages de vie et de foi d'un groupe d'hommes et de femmes vivant une grande précarité en France. Ainsi, cet ouvrage est en quelque sorte la mémoire vivante de chrétiens du Quart Monde dont on entend peu parler dans la société et même dans l'Église. Il  s'agit de laisser place à ces personnes dont il est aujourd'hui difficile de préciser ce qu'elles pensent ou la manière dont elles vivent leur foi.

 

            Ici, un pan du voile est levé en offrant la parole à ces « sans-voix ». Pour autant,  la réflexion de théologie pratique menée à partir de ces témoignages cherche à préciser les accents originaux de la foi de ces personnes. Elle tente de comprendre comment leur foi est façonnée par l'expérience de l'exclusion et par la lutte quotidienne jusqu'à remanier un certain nombre d'affirmations chrétiennes.

 

            Nous reprendrons des extraits du dernier chapitre :  

 

 

La place singulière des pauvres dans l'Église

           

            « Elle cite le Père Joseph WRESINSKI : « Vivre la foi hors l'Église n'est pas d'abord un danger pour la foi. C'est un danger pour la plénitude de l'image de Dieu. Si d'être en dehors de l'Église était un danger pour la foi, les gens l'auraient perdue depuis longtemps ».(...)

           

            L'expérience de la souffrance, en lien avec des conditions de vie très complexes et difficiles, donne ici du poids à la phrase inauguratrice de la mission de Jésus, d'ailleurs rappelée à Jean le Baptiste : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (cf Lc 4, 18 et Lc 7, 22). Or il est évident que seules les personnes concernées peuvent attester de l'effectivité du salut en Dieu, en particulier dans les lieux les plus méprisés de la société. Elles seules peuvent nous révéler que Dieu les rejoint et leur offre de vivre debout dans leurs conditions de vie précaires. Si nous n'avions pas ces témoignages d'expérience de foi et de vie, nous pourrions mettre en doute l'annonce prophétique d'Isaïe, la proclamation de Jésus, et les dires de ses apôtres et disciples. Le signe de la vérité du message de l'Évangile se trouve obligatoirement dans les paroles de foi des plus pauvres. (...)

           

            Le fondement de la nécessité de cette écoute des exclus vient, à notre avis, d'une réciprocité existant entre l'annonce de Dieu et l'annonce proférée par ces derniers. En quelque sorte, Dieu s'est mis en dépendance du témoignage des plus pauvres et engage l'Église à en faire autant !

           

            La réciprocité de ces deux annonces est à relier au fait que Dieu se fait Parole tout au long de l'Alliance Ancienne et Nouvelle. En Jésus, le Verbe s'est incarné, donnant chair à cette Parole. Au cours de cette histoire, Dieu se met en dépendance de l'homme pour être ce qu'il est : parole universelle qui passe par une réception de la part de l'homme, de tout homme, et donc des plus exclus des échanges sociétaux. L'accueil de Dieu peut se faire d'abord de manière éthique, c'est à dire par une orientation de vie proche de celle des Évangiles. L'agir humain devient alors réponse à une parole intérieure. Pourtant cette réception doit aussi être explicite à certains moments, dans une parole qui devient annonce croyante et chrétienne. Cette proclamation nécessite la collaboration de disciples du Dieu de Jésus-Christ, en particulier parmi les plus marginalisés de nos sociétés, car ils sont les seuls à pouvoir dire ce qu'ils vivent de la promesse de Dieu. Ils ont donc la mission d'annoncer que Dieu donne vie et force aux marginalisés et exclus de tous genres, que la Bonne Nouvelle est Parole de vie au-delà des évidences concrètes. Ils doivent manifester sa crédibilité, alors même que tout concourt au désespoir. (...) »

 

 

L'annonce d'un Dieu solidaire, source d'espérance.

 

            En travaillant  sur leurs échanges, nous entendons leur annonce insistante d'un Dieu qui entre en solidarité avec l'homme pour le sauver du désespoir et de la résignation. Cette solidarité inouïe les remet debout en permanence en leur proposant un chemin de fraternité, sans jamais les abandonner sous le couperet d'un jugement mortifère. C'est pourquoi, nous esquissons ici cette interprétation personnelle de leurs paroles, en prolongeant quelques éléments théologiques déjà évoqués dans les chapitres précédents. Cet essai nous invite ensuite à considérer ces chrétiens Quart Monde comme des témoins expressifs de l'espérance.

 

            L'expérience  de la souffrance reste difficilement communicable. Seuls ceux qui ont souffert peuvent entrer en communication au-delà des mots, au-delà de la diversité des difficultés vécues. Cette réalité très simple mais fondamentale donne une très grande place au Dieu crucifié, pour un croyant qui accepte que Dieu le rejoigne au cœur du quotidien  le plus rude soit-il.

Si Dieu fait le pas de l'alliance la plus intime avec l'humanité en son fils Jésus-Christ, il se propose sans s'imposer. Chaque souffrant peut le rencontrer à partir de la Croix, dans un regard de foi pascale. En regardant le Crucifié, ceux qui sont exclus et humiliés peuvent voir un frère en humanité qui a partagé leurs conditions sans tricher, mais plus encore ils perçoivent la réalité d'un Dieu solidaire. Dieu est impliqué, intimement concerné par cette histoire de l'homme Jésus en raison de son lien de paternité. La souffrance remonte en Dieu par le canal de l'amour vivant, circulant entre le Père et le Fils. Nos témoins chrétiens du Quart Monde entrent dans cette perspective, car ils ont intégré la relation filiale existant entre Dieu et Jésus, ils ont entendu la parole inaugurale de Dieu, « celui-ci est mon Fils bien aimé » (Mt 3, 17). Cette relation unique entre le Père et le Fils, s'ouvre pourtant à l'humanité entière.(...)

 

top