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Le sappel

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No 63
journal du sappel / Mars 2005 Journal

Des empreintes de vie.

Des empreintes de vie hautes en couleurs

par Mickael Frontini

Maison du Sappel à Soucieu, un jeudi ou un samedi matin.
• “Je te bénis mon créateur pour la merveille que je suis
• tous ces trésors au fond de moi que tu as mis sans faire de bruit.”

A la chapelle, des chants comme celui-ci, jaillissent spontanément, dans le temps de prière qui précède le travail de l’atelier. Aux chants se mêlent des remerciements, des louanges et des demandes. Prières simples qui sortent du coeur. Temps d’écoute des autres et de l’évangile accueilli comme une lumière et une nourriture de Dieu pour notre route de chaque jour. Temps de présence à soi-même, aux autres et à Celui qui est la source de toute vie. "Tous ces trésors au fond de moi.."..Effectivement, dans l’atelier de sérigraphie qui suit ce temps de prière, nous sommes témoins des trésors de tous ceux qui viennent, trésors éclatants parfois, ou trésors cachés qui se révèlent peu à peu. A chaque séance nous sommes entre trois et sept personnes, car plus nombreux, on risque de se gêner. Les participants se succédent, chacun venant pendant le nombre d’ateliers qui lui est nécessaire pour mener jusqu’au bout la réalisation de sa sérigraphie en une soixantaine d’exemplaires.

Ce chemin de croix s’inscrit dans une histoire, et même si tous les participants n’ont pas participé à toutes les étapes, chacun bénéficie de l’expérience du groupe, constitué aussi bien de jeunes adultes que de grand-parents en âge de la retraite. Certains sont très fidèles et très réguliers, d’autres viennent ponctuellement, ce qui n’empêche pas chacun de se sentir intégré et partie prenante de l’aventure. Un groupe étonnant parfois par la liberté qu’il exprime dans ses choix : pour la couverture, c’est une croix peinte par Axel, un des derniers arrivés dans l’atelier d’écriture qui a été retenue par le groupe : “Il y a des derniers qui seront premiers” clame Jésus dans l’évangile. Et voilà Axel propulsé dans l’atelier de sérigraphie pour réaliser la couverture du livre ! Vraiment, il ne s’y attendait pas, et c’est avec beaucoup d’application qu’il reproduit sa peinture sur l’écran de sérigraphie.

Certaines scènes du chemin de croix avaient déjà été réalisées en papiers collés par l’atelier du Sappel et exposées à la galerie Confluence à Lyon. Ainsi, derrière la sérigraphie “j’ai peur de mourir” je revois tout le travail d’Yvette. Elle avait mis du temps pour s’approprier la technique du papier collé où on ne compose pas avec des traits, mais avec des surfaces. Après deux premières compositions sur l’agonie de Jésus au jardin des oliviers, des silhouettes d’arbres sur lesquelles elle avait beaucoup peiné, elle n’était toujours pas satisfaite de son travail ! Je me souviens lui avoir fait alors la proposition de découper directement une silhouette dans du papier noir, sans passer par le dessin. Dans le découpage qu’elle a fait, on pouvait voir à la fois une silhouette d’arbre et une main tendue vers le ciel, comme en prière. Yvette n’en avait pas eu l’idée au préalable, mais c’est cette forme à la fois d’arbre et de main tendue qui est sortie d’elle ; forme reprise par quelqu’un d’autre pour la sérigraphie sur le même thème.

Michèle aussi a intégré et réinterprété à sa manière, tout en délicatesse, un visage de Jésus fait par quelqu’un d’autre en papiers collés : “son visage pleure la mort” Bien souvent, le thème choisi par l’un ou l’autre a un lien étroit avec sa vie :

En plein combat contre la maladie de l’alcool, René choisit de faire sa sérigraphie sur les tentations de Jésus “il se perd dans la nuit”. Alors que tout est prêt pour commencer le tirage d’une des couleurs, il est sur le point de mettre l’encre sur l’écran, coup de téléphone, sa femme va accoucher. Départ précipité...René laisse en suspens son travail... pendant plusieurs mois... jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel équilibre qui lui permet de reprendre et de terminer son ouvrage.

Quand Yvette choisit de faire la sérigraphie sur la mise au tombeau “longue nuit”, on ne pouvait pas imaginer qu’on se retrouverait tous autour d’elle quelques mois plus tard pour son enterrement.

C’est elle-même qui avait fait quelques années auparavant une mise au tombeau en papiers collés en mëme temps que Josette et Dominique faisaient en papiers collés la naissance de Jésus : y avait-il déjà en elle la phrase de l’évangile que nous avons chanté lors de la mise en terre de son cercueil : “le grain de blé tombé dans la terre, s’il meurt, beaucoup de fruits il porte” ? La même forme de personnage enveloppé d’un linge se retrouve pour la naissance et la mise au tombeau. Ce Jésus tombé en terre, Yvette en a peint toute une série. Parce qu’elle ne voulait pas se laisser arrêter par les limites imposées par son fauteuil roulant, chaque fois qu’elle ne pouvait plus prendre une part active au travail commun, elle peignait, à la gouache, d’autres versions colorées de sa sérigraphie, en tout une bonne trentaine !

Comment avons-nous pu aller au bout d’une technique aussi contraignante ? C’est comme pour une marche, en mettant un pied devant l’autre, en faisant un pas après l’autre. Gérard, peintre et notre maitre d’oeuvre a décomposé ce travail complexe en autant de petites séquences avec un cadre précis dans lequel chacun pouvait mettre en oeuvre sa créativité : esquisse, maquette en papiers collés, réflexion sur les couleurs, préparation du cadre, ... et si une séquence était encore trop complexe, elle se redécomposait en autant d’étapes adaptées aux pas que chacun pouvait faire sur ce chemin, et tout le monde a eu envie de marcher !

Un dialogue entre Gérard et les différents participants à la fin d’un travail en commun résume pour moi l’esprit de l’atelier : “-Pourquoi y a t-il autant de lumière dans votre oeuvre ? -C’est parce que tu nous a appris à faire des belles couleurs ! -Non -C’est parce que tu nous as bien entourés. -Non -Alors dis-nous pourquoi il y a de la lumière dans notre peinture ! -Il y a de la lumière dans votre peinture, parce que la lumière, elle est déjà là dans votre coeur ! et vous avez peint avec votre coeur !” Et en effet, ce qui touche, ce n’est pas la perfection technique, la performance due à une habileté manuelle, ce qui touche, c’est le geste d’offrande, l’acte d’amour que chacun a mis dans son travail.

Bien sur, il y a eu des tensions, il y a eu des passages à vide, des séances où ceux qu’on attendait n’étaient pas là, et donc d’autres séances à organiser.Nous avons vécu beaucoup de moments laborieux et d’autres moments de grâce, quand chacun trouvaient sa place, le bon geste, le bon rythme : mettre la feuille juste où il faut sur les points de repères, “tirer” l’encre avec la raclette d’un geste précis en sentant la bonne pression à mettre sur l’écran, retirer la feuille pour la mettre à sécher, poser une claie de bois prête à accueillir la feuille suivante...et il n’y a pas de geste insignifiant qui n’ait pas son importance pour le résultat final. Un travail d’équipe et un vrai travail d’artisans : ajuster des formes, des couleurs, des mots, des gestes. S’ajuster les uns aux autres et à celui qui est source de vie. Et quand ça s’ajuste bien, on a des bonnes surprises : il y a des correspondances qui se font toutes seules, comme le dit Johan : “Ce qui m’a surpris, c’est que la sérigraphie de ma mère “l’amour déborde” et mon poème "une bouteille pas comme les autres", ils se sont rejoints !”

Mickaël Frontini

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