"Je n'ai pas eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment..."

Jean-Luc, incarcéré à la prison de Lyon-Corbas — Parole des pauvres

Le sappel

actualités

No 63
journal du sappel / Mars 2005 Journal

Les pauvres, commentateurs.

LES PAUVRES, COMMENTATEURS DE LA PAROLE DE DIEU.

par Pierre Davienne.

Pourquoi lire la Bible avec les familles du Quart-Monde ?

Au Sinaï, Moïse a reçu deux Torah. Une torah écrite et une torah orale. La torah écrite, ce sont les textes que nous avons l’habitude de lire dans nos bibles. La torah orale, c’est l’ensemble des commentaires qui entourent les écrits et qui rehausse sa beauté comme il est dit dans le Cantique des Cantiques : "Ton cou dans les colliers"(Ct 1.10)

Pour le judaïsme, chacun est porteur de la torah, chacun est donc responsable de prendre sa part dans la recherche du sens des Ecritures, pour hâter le monde futur, pour faire venir le Messie. Pour les chrétiens, c’est le Christ qui accomplit l’écriture et qui lui donne sens. Il a tout achevé, mais il n’en a pas fait un réservoir stagnant, clos, hermétique. En partant il a donné ordre de "faire" sa Parole, de la déployer jusqu’à sa venue. Le sens plénier des écritures est donc devant nous, comme don gratuit qu’Il nous fera dans son dernier avènement, mais aussi comme une exigence donnée à son Église de lui faire porter du fruit.

Les croyants sont donc conviés à actualiser, à rendre présent dans l’histoire cette Parole de Vie ; d’une certaine manière à offrir leur corps, leur coeur, leur intelligence, comme lieu d’incarnation de la Parole divine. Tout comme le Christ, et à sa suite. C’est la première raison pour laquelle il nous semble si important de partager d’une manière directe la Parole de Dieu avec les familles du Quart-Monde. Si nous voulons que les plus pauvres aient leur place dans l’Eglise, alors il est nécessaire qu’ils puissent faire grandir le corps du Christ par leur propre vie, par leurs propres commentaires.

Mais il est une seconde raison qui vient du choix de Dieu. Ceux qui vivent dans de grandes difficultés ont une place particulière dans l’intelligence des Ecritures parce que, mystérieusement, le Seigneur les choisit pour dire en eux, avec eux, son amour à tous les hommes. A travers la première Alliance les pauvres sont le critère d’une relation juste, "ajustée" à Dieu. Si les pauvres ne sont pas respectés, c’est que la Torah n’est pas respectée. Dans la tourmente de l’histoire, Israël va forger l’image du serviteur souffrant, porteur de promesse de vie. Avec Jésus, ils deviennent les détenteurs des secrets du Père. (Lc 10.21) Jésus va devenir l’un d’eux pour manifester que le salut atteint bien tout le monde et pour montrer ce qu’Il est profondément devant son Père, Fils recevant tout, dépouillé de tout, Il va apprendre d’eux pour trouver les mots pour dire Dieu. Si Dieu lui-même a pris ce soin, pouvons-nous faire autrement que lui ? Mais du côté des pauvres eux-même, qu’en est-il ? Les personnes qui sont sans cesse en risque de disparaître, d’être détruites ont un rapport particulier à la Parole. Elle est pour eux une question de vie ou de mort. C’est comme la foi en terre de misère, elle n’est pas un surplus culturel, une suite de concepts philosophiques, un système d’idées mais une Parole qui est expérience de vie. La Bible, c’est avant tout un récit, parole et geste de Dieu qui crée et qui sauve. Un jeune demandait à un prêtre : " Tu arrives à prier les psaumes sans pleurer ?" Devant son étonnement il ajoutait : "C’est ma vie qui et là, c’est toute ma vie."

Voir le monde et les Écritures "d’en bas de l’échelle" donne de la pertinence et de l’impertinence ; telle celle exprimée par ce groupe qui partageait sur la parabole des invités au festin(Lc 14,16). Après avoir travaillé sur ce que voulait dire le texte, l’animateur demande : " Et aujourd’hui, est-ce que cela se passe comme ça dans vos vies ?" Tous répondent que personne ne veut venir dans la cité et que les riches ne veulent pas se salir les mains. Quelqu’un raconte même un baptême dans une famille où tout avait été préparé et personne n’était venu.

A la fin, à la question : " Et vous, vous êtes où dans le texte ? " Un jeune répond :" Nous, on est le Roi ! On voudrait bien inviter, mais personne ne vient. D’abord ton roi il est minable ! " Et la réflexion continue sur le Christ-Roi, cloué sur le croix. Qui d’autres pouvaient s’identifier au roi humilié de la parabole sinon des personnes ayant vécu l’affront des fêtes ratées ? Et cette femme sur un terrain de gitans qui, devant un crucifix dit : " La vierge Marie, elle aussi, a été la mère du condamné !" Comment voir en Marie la mère du condamné si nous ne l’apprenons d’une maman dont les fils ont été jugés ? La lecture de la Bible avec les familles du Quart-Monde nous fait pénétrer, à la fois par ce qui est le plus vital et par ce qui est le plus blessé, dans le mystère d’un Dieu d’amour qui sauve. Oui, vraiment la Parole des pauvres est trésor d’ Église.

Les "Samedis de la Parole".

Fort de cette expérience, nous avions mis en place depuis plusieurs années les "Samedis de la Parole." Nous nous retrouvions une fois par mois autour des textes de la messe du lendemain pour pouvoir ensuite en tirer des intentions de demande de pardon, de louange ou d’intercession que nous proposions à l’assemblée dominicale de la paroisse des Minguettes à Vénissieux. Cela se passait le samedi après-midi après un bon temps de prière et se terminait par un goûter. Pour étudier le texte, d’une manière générale, il y a trois étapes ; verset par verset nous cherchons à comprendre ce que dit le texte, ensuite nous nous demandons si aujourd’hui "ça se passe comme cela ? " C’est une manière de l’actualiser. Et enfin, nous nous demandons où serait notre place dans le texte. Cela permet à chacun de s’approprier cette Parole de Dieu qui touche le coeur de chacun. Ce va et vient entre l’époque où le texte a été écrit et l’aujourd’hui de la lecture permet une entrée dans une parole vivante.

Au bout de quelques années, nous avons décidé d’étudier les textes de la passion. Tout au long de cette recherche, nous avons pu être témoins de la coïncidence entre la passion de Jésus et la vie des pauvres. Toutes deux étant faites de trahison, de souffrance, d’offrande et puis surtout de la question du scandale du mal qui demeure attaché à la croix. Souvent les chrétiens disent Dieu par ce qui réussit dans leur vie et ne s’attardent pas trop au Vendredi saint. Les personnes en détresse demeurent dans ce lieu-là, et en même temps continuent de vivre et quand c’est possible avec de la joie. La merveille, c’est de constater l’intuition profonde qu’ont les plus pauvres que la Parole de Dieu est pour eux, et que si elle parle de Dieu, elle parle aussi d’eux-même. Ainsi cet homme, au cours d’une rencontre disait : " Je ne sais pas ce que c’est la résurrection, mais je sais que Jésus est mort comme nous." Le Chemin de Croix, c’est la preuve que Dieu n’abandonne pas les pauvres et chemine jusqu’au bout avec l’humanité qu’il sauve.

Pierre Davienne.

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