"Je n'ai pas eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment..."

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Le sappel

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No 86
journal du sappel / février 2013 Vers Diaconia 2013

MA PUISSANCE S'ACCOMPLIT DANS LA FAIBLESSE - 2 Corinthiens 12:9

Le lien entre la Nouvelle Théologie Politique et le Sappel 

par Benedikt KERN       

                                             

 

 

Benedikt Kern (Benoît, en français) est un jeune séminariste allemand qui est venu vivre une année à Lyon pour étudier à la faculté catholique. Il s'est engagé au Sappel  en participant à différentes activités. 

Passionné par la pensée de Jean-Baptiste METZ, théologien allemand , marqué par la Shoah , il  nous en a partagé les idées fondamentales, car il y  voit une parenté avec la la vocation du Sappel. La Nouvelle Théologie Politique de J-B METZ veut situer la foi chrétienne dans la société pluraliste et postmoderne. Elle a beaucoup influencé le dialogue avec les protestants sur les questions sociales et écologiques : cette théologie a été le fondement de la Théologie de la Libération en Amérique latine.

 

Dieu est Amour, mais une dimension de l'Amour, c'est la  justice. Isaïe 23,6 exprime ce nom de Dieu: « Seigneur, notre justice ». Pour nous chrétiens la justice est alors plus qu'une question sociale, elle est une information sur Dieu lui- même. Dieu veut installer cette justice déjà dans notre monde d'aujourd'hui. L'espérance chrétienne n'est pas seulement un espoir dans le paradis d'après la mort, mais aussi aujourd'hui dans la vie du monde.

 

Un grand théologien m'a beaucoup marqué, c'est  Jean-Baptiste METZ, le fondateur de la Nouvelle Théologie Politique (il utilise le mot « politique » dans le sens où le salut concerne toute la communauté humaine). Pour lui, Dieu est d'abord la justice pour les victimes innocentes qui souffrent injustement. C'est à dire la justice pour ceux qui ne sont pas coupables de leur souffrance, les malheureux qui sont dans une pauvreté injuste. Dans sa théologie politique METZ pense  une autorité des faibles, des souffrants. Il est convaincu que les souffrants innocents sont la seule mesure universelle pour toutes sortes de décisions politiques et sociales . Ils existent partout et depuis toujours dans toutes les cultures et religions. Ils sont un principe non-violent qui unit toute l'humanité et qui appelle à une responsabilité de tous les humains. Cette autorité non-violente des souffrants est incontournable . Le principe de l'autorité des faibles nous renvoie au Christ qui a dit: « Ma puissance s'accomplit dans la faiblesse » (2 Cor 12,9).

Notamment dans l'Église, ceux qui souffrent injustement, doivent avoir une place privilégiée, si elle veut rester fidèle au message biblique du Dieu qui est la justice et le salut tout d'abord pour les victimes de l'histoire. Si elle veut rester fidèle à ce Dieu qui nous promet son royaume, l'Église doit rester une communauté qui apprend, qui se laisse interroger par la souffrance et l'injustice.

 

Un lieu d'Eglise :

Cette année j'ai trouvé au Sappel un lieu d'Église qui donne cette place privilégiée à ceux qui sont des victimes de notre société, qui sont exclus à cause de leur faiblesse (souvent ils sont aussi exclus de notre Église contemporaine). J'ai découvert comment nous pouvons vivre un avant- goût du royaume qui nous est promis par le Christ. Les célébrations liturgiques festives, les repas conviviaux, les ateliers de création et le groupe de théâtre auxquels j'ai participé m'ont fait découvrir cet  avant- goût du Royaume qui se manifeste dans l'écoute mutuelle et l'avancée ensemble avec les plus faibles.

               

J'ai appris d' une certaine manière comment on peut écouter l'autorité faible(?) des souffrants en écoutant ce que  les familles  partagent de leur foi et de leur expérience de vie. Au Sappel on essaye de prendre au sérieux ces différents témoignages pour être une Église qui apprend des démunis.

 

La Paix pour tous

Le thème conducteur de cette année: « Heureux les artisans de paix !» est tout à fait l'accomplissement de ce que METZ exige dans sa théologie: « Les chrétiens doivent collaborer, d'une façon  créatrice et critique, à l'action politique et sociale pour la paix. Car la paix du Christ eschatologiquement promise est non pas une paix privée, mais la paix pour tous, la paix ouverte à chacun et tout d'abord au plus pauvre, au plus petit, au plus lointain.....Une telle paix ne sera donc pas réalisée par l'élimination des conflits, mais par leur transformation et leur humanisation croissante. » Nous devons nous laisser interroger par la souffrance pour  devenir artisans de paix et ne pas accepter les circonstances, qui dans notre société  excluent les faibles.

Les rencontres des  Dimanches du Sappel où  avec les adultes nous avons approfondi le message de personnes qui ont lutté pour la paix, comme Gandhi, Luther King, Mère Thérésa ou le Pére Joseph Wrésinski, la découverte de l'histoire de saint François avec les enfants et le travail de création pour monter une pièce de théâtre sur les conflits de voisinage   nous ont montrés que cet engagement pour la paix est nécessaire et qu'il est aussi possible de le vivre au jour le jour.

L'atelier théâtre avait lieu tous les quinze jours, et là, nous avons véritablement essayé, malgré  nos limites et les difficultés dans les relations, de construire ensemble cette pièce. Comme c'était réellement les personnes  les plus faibles  qui étaient l'élément moteur et « décideur »   (comme J-B METZ le dit), nous avons réussi à mettre en place un spectacle avec la participation de tous. La pièce portait vraiment ce qu'on a désiré exprimer et transmettre aux autres familles du Sappel.

Intéressant a été le processus de la mise en scène qui a duré toute l'année : les conflits sur le déroulement, la crainte de ne pas avancer, la définition des rôles, les détails de la mise en scène etc. nous ont conduits de manière façon constructive au résultat final qui était formidable pour les acteurs, mais bien sûr pour les spectateurs aussi ! Les tensions n'étaient pas facile  à vivre, mais pendant et après les représentations du spectacle, tous les participants ont été très fiers d'eux. Peut-être  cette expérience les a-t-elle aider à grandir dans la conscience de leur propre valeur.

 

La compassion

 Le pèlerinage à Lourdes avec quatre familles et une douzaine d'animateurs a aussi été une expérience forte de cette croissance. La profondeur des relations et  la confiance qui se sont établies pendant cette semaine a été extraordinaire. Même les difficultés de l'encadrement des enfants et les problèmes de santé des adultes nous ont ouverts les uns aux autres. J'ai été impressionné  comment chacun a ét capable de porter les difficultés, les craintes, la tristesse des autres, mais aussi leurs espérances, leurs joies et les  beaux moments. Un moment très fort  a été le chemin de croix  préparé par les familles et qui a exprimé profondément leur chemin de croix dans leur propre vie. Cette mise en relation concrète avec la passion du Christ me bouleverse et éclaire ce que METZ veut dire quand il parle de la com-passion : « la passion avec quelqu'un ». À Lourdes nous avons vécu exactement cette compassion : (sup)porter les blessures, la solitude, le doute, la souffrance injuste des autres. Selon METZ c'est  la compassion qui «  réhumanise » l'Église et toute la communauté humaine, car le Christ l'a vécue jusqu'au bout dans sa passion.

Au Sappel, quelle que soit la misère vécue par les personnes, la dignité de chacun est fondamentale et respectée. On peut vivre ensemble dans la présence de Dieu par la prière commune et tisser une fraternité qui nous unit comme peuple de Dieu, avec toutes nos couleurs, nos joies et nos difficultés existentielles. C'est à cette réalité que pense METZ lorsqu'il cite Yves Congar « ...une nouvelle Église par le peuple » .

Le Sappel est une communauté de base qui, à la suite du Christ, est une invitation à la relation, un lieu d'espérance et de liberté.

 Par rapport au diocèse et à l'Église toute entière, je pense  que  le Sappel a la responsabilité de témoigner de ses riches découvertes dans les relations avec les familles du Quart monde, de leur foi, mais aussi de leurs souffrances injustes et insupportables. Ce témoignage peut rappeler à  l'Église et  à la société que la justice nous est promise pour notre monde, aujourd'hui.

 

Je remercie chacun et chacune que j'ai pu rencontrer au Sappel, car toutes ces rencontres sont devenues des stations sur mon cheminement de discernement de ma vocation pour  suivre le Christ avec les plus pauvres, ceux qui souffrent injustement et les innocents.

 

                                                                                                          Benedikt KERN

 

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