Il n’y aura pas de pauvre chez toi.

Deut 15,4 — Parole de Dieu

Le sappel

actualités

No 77
journal du sappel / Février 2010 Ferment d’Unité

Forum : Atelier théologie.

Cet atelier était animé par Etienne Grieu, jésuite et professeur de théologie. Nous avons gardé le style oral.

Qu’est ce que les plus pauvres m’apprennent, comment sont-ils ferment d’unité ?

C’est Laurence de Saint Etienne qui introduit cette matinée en nous parlant de son expérience.

Les plus pauvres nous apprennent la dignité.

Moralement, ils sont plus forts que moi. Ils acceptent ce qu’ils vivent avec toutes leurs difficultés. Je ne pourrais pas vivre ce qu’un pauvre vit. C’est un combat de tous les jours. A un moment de ma vie je buvais, mon mari aussi. J’étais au fonds du puits. On est souillé par l’alcool. J’ai réussi à surmonter mes difficultés, parce qu’à la clinique quelqu’un m’a aidée ! Une droguée, une jeune, qui m’a dit « prie », et ça va t’aider. Elle, elle était pauvre. Elle avait fait de la prison. Elle avait une grande force. Tu te dis c’est une droguée, ça devrait être la plus faible. Elle était vraiment au fond du gouffre, et c’est elle qui m’a dit de prier. Pour prier, elle avait une Bible, et une photo de sa fille. Pas de parents, rien, que sa petite qui était placée en famille d’accueil. Pour moi elle était vraiment gentille. C’est celle qui a eu le moins de chance qui t’aide. Dans ces endroits, les maisons médicales, il y a toutes sortes de gens. Il y avait même une fille de patron, elle aussi était alcoolique. Elle était vraiment très faible. Pourtant elle avait des moyens.

Ils nous apprennent aussi à partager.

Une fois, on n’avait que nos valises pour entrer dans le nouvel appartement que les HLM nous avaient donné. Je m’en rappellerai toute ma vie ! Tu n’as rien, tu n’as pas de meuble, tu rentres dans un appartement, tu as juste un évier. Une voisine m’a donné une table. Elle est montée me voir, elle voulait faire ma connaissance. Elle me dit : « Vous n’avez rien ? Moi j’ai une vieille table dont je ne me sers pas, vous la voulez ? ». Elle était Rmiste, elle avait une fille. Elle m‘a aidée. Après elle montait me voir. C’est ceux qui en ont le moins qui donnent le mieux.

Etienne : J’ai repensé à des personnes que j’ai rencontrées. La première personne, j’avais 15 ans, c’était un moment où j’avais redécouvert la foi comme quelque chose de vivant en rencontrant des sœurs hospitalières. Elles accueillaient un jeune de 25 ans. Etant petit, il avait été placé. Il avait des sérieux problèmes d’alcool, mais il avait une espèce de rage de vivre , il avait été champion d’athlétisme notamment. Il était tourneur de métier, il avait des hauts et des bas assez spectaculaires dans sa vie. On a sympathisé et on est devenu un peu amis au fil du temps. Ca a duré plusieurs années. Ce qui m’a beaucoup frappé chez cet homme-là, c’est qu’il était profondément croyant. La rencontre du Christ pour lui avait été vraiment une bonne nouvelle. Du coup j’ai pu recevoir la bonne nouvelle à partir de ce qu’il disait. Si c’est une bonne nouvelle pour lui, qui traverse des choses difficiles, ça peut l’être pour moi aussi.

La deuxième personne, lorsque j’étais novice jésuite, 20 ans plus tard. J’ai été envoyé à Toulon pour un stage de 4 mois avec la diaconie du Var. La première personne que j’ai rencontrée parmi les personnes accueillies à Jéricho, s’appelait Michel. Première chose qu’il me demande : « Excusez-moi, est-ce que vous sauriez comment je peux acheter des préservatifs ? » Il me raconte ce qui lui arrive. Il vivait dans un squat. Il avait le sida et il avait rencontré une jeune femme. La nuit précédente, elle avait eu envie de faire l’amour et il avait refusé parce qu’il n’avait pas de préservatif, avec toute l’humiliation que ça pouvait vouloir dire pour lui. C’était un homme d’une très grande finesse. J’ai eu l’occasion de recueillir son récit, d’aller aussi dans son squat. Je me disais : « Il y a là une très belle humanité, avec beaucoup de respect ». Ca m’a beaucoup frappé.

La troisième rencontre, ça se passe encore 15 ans plus tard. Je fais ce qu’on appelle chez les jésuites « le troisième an ». Je suis envoyé en stage en Haïti, dans un foyer de l’arche de Jean Vanier. Je ne sais pas pourquoi, mais la perspective de vivre en proximité avec les handicapés me faisait peur. La nuit j’en rêvais. Je me disais « mais non c’est idiot », mais n’empêche que la nuit j’en rêvais. Je me souviendrai toujours du moment où nous sommes arrivés dans la banlieue de Port au Prince, nous étions deux français. On a été accueilli à bras ouvert par une handicapée, elle nous a pris par la main pour nous faire entrer. Tout d’un coup, je me suis rendu compte que mes peurs, c’était un rideau de fumée.

Se laisser visiter par des situations nouvelles. Tout ça comme théologien m’incite à quelques points d’attention. Comme intellectuel, on peut avoir tendance à vouloir maîtriser les choses. On est content quand on maîtrise une question. On connaît pas mal de références, des auteurs, on a des idées là-dessus. Le piège, c’est qu’on fait quelque chose qui risque de se fermer, de s’enclore. Alors que les pauvres que j’ai rencontrés m’ont appris à ré-ouvrir, à me laisser visiter par d’autres choses, c’est vraiment vital. Tout ce qui est du côté de la Bonne Nouvelle, c’est justement de ré-ouvrir les situations.

G : J’ai rencontré un jeune couple de fiancés, lui était profondément croyant, elle agnostique. Lui était fou amoureux mais se disait : « Je ne peux pas me marier. Il faut absolument que je la convertisse avant qu’on se marie ». Il l’amène à des offices magnifiques, lui fait visiter de belles églises, va chez les moines. Rien ne se passe. En dernier espoir il essaye Chartres. Malheureusement il n’y a pas d’eucharistie à ce moment-là. Déçu il sort de la cathédrale pendant que sa compagne reste, entre alors un prêtre pour célébrer, complètement ivre. Pourtant elle reste jusqu’à la fin. Etonné son fiancé l’attend dehors. A la sortie, il lui demande « Qu’est-ce que tu as fait ? », elle lui répond : « Il y avait une messe et je suis restée. Ton Dieu je veux bien y croire. S’il s’incarne et parle des mains d’un prêtre comme celui-là, alors je veux bien y croire ! »

Mais la violence et la misère restent inacceptables

C : Moi je trouve qu’on dit de belles chose ici, presque trop. J’ai été très marquée par mes années d’alliée à ATD Quart Monde dans un quartier populaire. Tout ce que j’ai entendu de ces familles que j’ai pu côtoyer reste extrêmement douloureux pour moi. Je ne peux pas en prendre mon parti. Il y a aussi quelque chose d’inacceptable, le père Joseph le disait, des choses dont j’ai été témoin, je trouve qu’il faut que ça nous reste douloureux, que ça nous révolte, il faut qu’on se batte contre ça.

Ils nous apprennent le pardon

P : Une chose que j’ai apprise en vivant avec des familles très défavorisées, c’est le pardon. C’est assez extraordinaire parce que vivant dans la cité, il y avait souvent des bagarres et les gens se réconciliaient. Je me disais, ce pardon-là, ce n’est pas un pardon intellectuel, c’est un pardon qui vient de la vie. Les gens sont presque obligés de se pardonner. Ils sont acculés à se pardonner, sinon ils ne pourraient plus vivre dans la cité, la solidarité ne pourrait plus s’exercer. Cette notion de pardon, voilà ce que j’ai pu apprendre des familles en très grandes difficultés.

M. (un jeune belge) : Moi je dis le pardon c’est quelque chose de bien, mais ceux qui font du mal, c’est quoi ça ? Je me pose la question. Mais moi Dieu avant je n’arrivais pas à le voir. Mais maintenant, dans ma chambre, je prie le Seigneur mais c’est dans mon lit. Quand j’ai un problème, je parle avec le Seigneur, tout le temps, tout le temps. A ma communion, j’avais un problème et j’ai parlé avec le Seigneur pendant tout le chemin et ils sont venus ceux que j’attendais ! J’écoute la radio, j’écoute RCF, ils passent de la prière tout le temps. Et c‘est avec ça que je prie tout les soirs. Oui, je suis content pour moi. Parce qu’avant j’écoutais du métal, du hard rock, du rock, de la techno et ça, ça me disait rien. J’ai un copain, Jean-Louis, de Namur, il m’a dit : « Ecoute RCF, ils parlent du Seigneur ! » Et je fais ça et continue là-dedans.

N : J’ai été très frappé par une phrase de Jean Vanier : « Cette personne a touché en moi des lieux que je ne voyais pas ». A un moment, effectivement, il y a des personnes qui ont mis le doigt en moi sur des lieux que je ne connaissais pas, elles m’ont transformé. C’ était souvent dans des lieux de souffrance. Je me souviens de moments très durs que j’ai passés où je pensais à ma propre violence : « C’est pas moi, c’est pas possible ». Ou aussi face à la violence, ou à la souffrance vécue par quelqu’un. Des moments de plongée dans un bain de boue.

Ils nous apprennent la joie

M : J’ai rejoint le groupe de prière du Sappel et c’est une expérience qui est pour moi le creuset de beaucoup de violence, de joie, de questionnement. Je vous rejoins, Claire, quand vous parliez de la béance toujours ouverte et de ce côté insupportable de voir une humanité complètement déchirée. Des choses que je ne peux pas accepter et que j’espère ne jamais pouvoir accepter. Dans le groupe de prière, la joie exprimée m’était parfois insupportable, comme si ce n’était pas décent d’être si joyeux face à autant de misère. Puis il y a eu un retournement à me dire : « ceux qui expriment la joie, ce sont ceux qui la vivent ». Tout d’un coup, ça m’a amenée à consentir à un mystère, à quelque chose que je ne comprends toujours pas, qui nous permet parfois de vivre ce que je ne pensais pas être capable de vivre, parce que je consens à me laisser couler dans cette joie exprimée. Ce serait indécent si elle était exprimée par des gens qui ne vivent pas ça. Le fait que ce soient des gens qui le vivent et peuvent dire haut et fort avec tout leur être « merci Seigneur ! », on peut qu’être désarçonné et accueillir.

Comment les plus pauvres sont-ils ferment d’unité dans l’Eglise ? Les plus pauvres font la communion autour d’eux.

Laurence : Quand on est pauvre, on se comprend déjà mieux, on a à peu près les mêmes difficultés, on se ressemble, on s’entraide, on est plus solidaire. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on n’est pas digne, on a tous quelque chose de riche en nous. La même dignité. On est tous égaux. Ils font la communion comme ça. Un riche, un pauvre, c‘est le même… On a le même Dieu. Les plus pauvres nous apprennent de Dieu d’être solidaires, d’avoir du cœur. On est créé à l’image de Dieu. L’intelligence c’est le cœur. Moi je ne suis pas intelligente mais je m’exprime. Partager une parole, une sagesse. Je n’aime pas la violence. La droguée dont je parlais ce matin, elle a l’intelligence du coeur, parce qu’elle m’a aidée.

Ils ont vraiment leur place dans l’Eglise.

C’est eux qui en ont le plus besoin sinon ils iraient où ? C’est leur place à l’Eglise quand même ! Ce qui est écrit dans la Bible nous, on le revit actuellement en 2009, exactement pareil. Jésus était pauvre. Il a été renié. Ils l’ont lapidé, lui ont craché dessus. Et qui a fait ça ? Ce sont les riches. Je vois Jésus comme ça. Moïse c’est pareil. Moïse a été sauvé des eaux, puis il a été pris par Pharaon, il a vécu dans la richesse un moment, après ils ont appris que c’était un juif, et ils l’ont rejeté. Je vais à la messe parfois avec J.L. Il y a des gens que j’arrive à rencontrer, j’arrive à tisser des liens. J’aime bien aller en ville à l’église Saint Louis. Il y a des endroits que je trouve mieux que d’autres. Je suis mieux à l’aise à l’église Saint Louis qu’à Saint Pierre. Je préfère l’endroit, c’est un peu sombre, c’est plus calme. Tu as plus le sentiment de la paix. Pourtant j’ai été baptisée à Saint Pierre, c’est l’église de mon quartier. Mais à Saint Louis tu peux prier Marie. A Saint Pierre tu ne peux pas aller prier Marie, il n’y a pas de statue, tu peux seulement prier Jésus, tu ne peux pas aller brûler des cierges. A Saint Pierre, il y a tous les milieux, je connais beaucoup de monde, mais ce n’est pas pareil, l’église est plus moderne, c’est peut-être pour ça qu’elle ne m’attire pas. La cathédrale de Saint Etienne est très belle. Mais je n’y vais pas. Là-bas je ne suis pas à l’aise, il y a beaucoup de gens, j’ai l’impression qu’ils me regardent différemment. Comment tu es habillée, comment tu es… C’est ce que je ressens. Par terre, il y a du marbre, la cathédrale est riche. Les gens qui y vont, on voit que ce sont des gens d’un autre milieu. Je n’aime pas. Il faudrait que nous on aille vers les gens de la cathédrale, ce serait peut-être plus facile. Faire le premier pas, aller vers eux, discuter, ou bien qu’ eux viennent à nous.

L’importance des liens

Etienne : J’ai oublié de dire une chose ce matin : ici au Sappel, j’ai participé à un groupe qui a échangé et réfléchi sur l’espérance. Une chose m’a beaucoup frappé : les plus pauvres accordent une place cruciale à la question des liens, et notamment des liens familiaux. Il n’y a pas beaucoup de théologiens et de philosophes qui ont vu ça pour parler de l’espérance. On met souvent en premier le désir, le fait qu’il y ait une visée, le fait qu’on agit, mais pas la question des liens. Donc sur une question précise, comme cette question théologique il y a vraiment quelque chose qu’on apprend en écoutant les plus pauvres. La question des liens est souvent le lieu d’une grande blessure pour beaucoup, parce que dans leur enfance ils ont été retirés de leur famille et placés dans des institutions, ils n’ont pas pu vraiment fonder une famille parce que de nouveau leurs enfants ont été placés. Ils espèrent toujours qu’un jour cela sera possible, ainsi ils attirent l’attention sur l’importance cruciale des liens familiaux ou sociaux. Pour moi, c’est un exemple où l’écoute des plus pauvres attire l’attention sur un point très précis de théologie. Ce n’est pas sans rapport avec notre sujet. L’Eglise justement, qu’est-ce que c’est ? C’est avant tout des gens qui se considèrent comme faisant route en semble. Donc c’est aussi une affaire de liens. Cette bonne nouvelle on va sûrement la retrouver aussi dans l’Eglise, comme un lieu de communion. Souvent les gens parlent du Sappel comme d’une famille. Donc quelque chose où on retrouve des liens très forts, où on peut se soutenir les uns les autres, et ce sont des liens qui nous appellent à la vie.

La question cet après-midi, c’est aussi où en est l’Eglise ? Je me suis demandé : qu’est-ce qui fait obstacle à une histoire qui soit vraiment tissée entre les communautés chrétiennes et les plus pauvres, et qu’est-ce qui peut aider ? Quelques points pour lancer le débat :

Les obstacles :

Quand une communauté chrétienne n’a pas conscience de ce qu’elle perd quand elle néglige la relation avec les plus pauvres. Souvent, on raisonne en termes de spécialistes : par exemple, on renvoie au Secours catholique les personnes en difficultés. C’est une manière de se décharger, mais la paroisse se prive de vivre quelque chose de fort.

Ce qui peut aider :

C’est d’avoir le désir de la rencontre avec les plus pauvres, et de cultiver ce désir. Il faut aussi, sans doute et malgré tout, des lieux spéciaux. Comme le disait Laurence tout à l’heure, des fois dans une église on ne se sent pas bien à l’aise, il faut donc des lieux d’accueil spécifique. Par exemple, j’ai été témoin de ça, ici au Sappel : ça prend une énergie et une attention extraordinaire pour permettre que les personnes marquées par la misère puissent parler, développer ce qu’elles ont à dire. Cela demande tout un travail, une acuité du regard pour repérer les choses et permettre qu’elles se déploient. Tout ce qui est de l’ordre de la fête ! Fêter permet de voir autrement comme ce matin dans la pièce de théâtre. Quand les choses de la vie sont dîtes sur ce ton-là, on les entend autrement.

Il faut du temps 

C : J’ai l’expérience d’une personne qui vient dans notre paroisse à Toulouse, elle fait maintenant la lecture. Pour y arriver, ça a été un travail de 20 ans. Mais il faut être un groupe. Une seule personne, c’est difficile, car elle devient facilement l’objet des autres. Cette dame est restée longtemps et elle parlait de la vie des gens. Petit à petit, les paroissiens demandaient des nouvelles des gens du Quart monde, qui sont devenus importants pour la paroisse. On vient avec le groupe à des célébrations de temps en temps. On se sent accueilli et même les gens du Quart Monde se sentent chez eux, mais il y a un travail de fond de longue haleine. Maintenant ils sont vraiment à l’aise. La chose la plus importante : qu’on vienne leur dire bonjour, qu’on se souvienne de leur prénom.

M : Qu’ils soient au cœur de l’Eglise c’est vrai ! Mais pour moi, l’Eglise c’est aussi vraiment chacun de nous. Et la plus grande révolution, c’est d’avoir les plus pauvres au cœur de notre vie, ce n’est pas confortable et c’est toujours déplaçant. Pierre me disait : « leur donner la parole, c’est bien, mais on n’a pas à donner la parole, comme n‘importe quel don, quelqu’un qui donne est toujours au-dessus de celui qui reçoit. Il y a là quelque chose de crucial ».

N : Au cours d’une célébration dans une paroisse, une dame arrive avec ses enfants un peu bruyants qui perturbent la célébration. A la fin, une dame va dire au prêtre tout fort : « Vous avez du courage d’accueillir des gens comme ça ». Le prêtre répond : « Ce sont eux qui ont du courage de venir quand il y a des gens comme vous qui les regardent ». Ca illustre bien ce qu’on est en train de dire : l’Eglise doit avoir le courage d’accueillir, le courage de se laisser déranger.

M-F : Pour convertir mon regard, il m’a fallu un lieu très concret comme le groupe de prière du Sappel. Un lieu, une périodicité, des semaines, des mois, des années pour faire connaissance, pour vraiment rencontrer d’autres. C’était nécessaire pour ma propre conversion. Sinon tous les beaux discours n’auraient pas suffit et j’aurais continué à trouver que certaines personnes, c’est lourd. Au début je me disais : on a déjà une sacrée mauvaise réputation dans notre quartier et je voyais arriver des personnes qui malheureusement ne savaient pas culturellement bien se tenir… Maintenant ça ne me choque plus. On apprend. Ce qui m’a convertie, c’est d’aller à ce groupe de prière et de retrouver des personnes qui ont tel ou tel prénom, telle et telle vie, et de se donner des nouvelles, et on prend à cœur. Ca m’a transformée.

Etienne : J’ai entendu des personnes dire : j’entre dans les églises en dehors des heures des messes, quand il n’y a personne. Pour moi, c’est quand même une question, c’est douloureux ! Quand on regarde ce qui se passait dans l’Eglise de l’Antiquité, et des premiers siècles, il semblerait que ça faisait partie de la vie ordinaire d’un chrétien que de fréquenter les pauvres. Il y avait notamment un temps de prière, qui se passait dans la maison des chrétiens, qui s’appelait l’agapé. Il avait lieu sans doute une fois par semaine, un temps de prière du soir. Les pauvres y étaient invités. Il semblerait que dans l’antiquité, cette place donnée aux plus pauvres explique en grande partie le rayonnement de l’Eglise.

Il y a sans doute aujourd’hui un appel pour que l’Eglise redécouvre des manières simples pour les chrétiens de fréquenter les pauvres. Il y a des choses qui s’inventent : les tables ouvertes par exemple. C’est un lieu où on vient manger ensemble. Ce n’est pas une soupe populaire, ce n’est pas pour donner à manger. On vient ensemble passer un bon moment et au fil du temps, on apprend à se connaître, on devient familiers les uns des autres, on s’apprivoise. Et petit à petit il peut y avoir des liens d’amitié qui naissent. Il me semble que c’est prometteur pour l’Eglise

Les pauvres ont soif de Dieu

JL : Mystérieusement ils ont, je pense, une plus grande aptitude que nous à accueillir la bonne nouvelle de Jésus, à croire en Dieu, à entrer en relation avec lui. Ca veut dire que dans nos assemblées de prière, du dimanche, on a beaucoup à recevoir de leur présence. Je constate par exemple dans les groupes de prière du Sappel, on s’aperçoit qu’ils ont une très grande facilité à entrer dans la prière de louange. Pour un chrétien c’est parfois difficile d’entrer dans cette prière, parfois on est appelé à lever les mains, à danser comme nous le disent les psaumes de la Bible. C’est souvent très difficile pour nous. Je constate que les pauvres entrent assez facilement sur ce chemin, parfois un peu déconcertant, où finalement on loue Dieu, pas pour demander quelque chose, mais parce qu’il est Dieu, une prière gratuite.

C : Une liturgie très bien célébrée, ça peut être bien vécu… J’ai accompagné des catéchumènes au baptême, des gens extrêmement pauvres culturellement, qui ont été complètement bouleversés par la célébration (l’appel décisif). On n’a pas eu besoin de leur expliquer le sens de ce qu’ils ont vécu. Eux, ils ne l’ont pas trouvé long, ils ont été enchantés. Je crois qu’il y a une intelligence des choses quand elles sont très bien célébrées. Il y a quelque chose qui passe au niveau des symboles, des attitudes. Ainsi la liturgie n’a pas besoin d’être expliquée.

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