Editorial
L’écoute, la rencontre, la fréquentation des familles du Quart Monde nous confrontent souvent à des paroles difficiles à entendre, à comprendre, à interpréter.
Ce propos a pour but d’illustrer avec vous cette expérience riche, déroutante et mystérieuse.
Ainsi, je me souviens d’un jour où Gisèle partageait son inquiétude à propos d’une autre personne du groupe de prière ; elle m’a dit : « Je suis STRISTÉE pour elle » !
Quelle beauté, ce mélange de stress et de tristesse, graine de poésie, pensée en mouvement.
Elle-même disait souvent : « Je n‘ai pas LA morale » pour dire : je n’ai pas LE moral. Pourtant, ce n’était pas exactement cela. En disant ainsi, elle compressait en quelque sorte LA morale, absente dans bien des situations où une élémentaire justice aurait été de mise, avec LE moral, qui du coup, lui manquait pour trouver encore l’énergie de se battre contre tant d’injustices avérées dans sa vie.
"Je n’ai pas LA morale", toi, qui si droite en toi, tu as su pardonner à ton agresseur pour ne pas détruite sa famille, toi qui avais tant souffert de ton propre placement dans l’enfance, tu savais de quoi tu parlais en parlant de la famille…
Le Sappel, ta famille d’adoption est heureux de t’avoir connue.
Une autre expérience vécue ces dernières semaines : Rendez-vous est pris avec B. afin d’aller à une messe à la mi-journée, suivie d’une courte méditation. « Vraiment, je peux venir avec toi ? Tu comprends, je ne vais jamais à la messe toute seule» (peur de devoir répondre à des personnes inconnues et de ne pas savoir ?). Tant de personnes du Quart Monde ne se sentent pas légitimes pour venir à une célébration, elles préfèrent souvent venir à l’église vide, au fond, discrètement.
A l’issue de ce temps passé ensemble , à vivre célébration et méditation, B. me dit : « J’ai tout compris, il – le prêtre – était serein, ça nous fructifie ensemble, je me sens florissante ».
En peu de mots, la reprise du psalmiste « dans sa vieillesse il fructifie encore »…
Et dire qu’en ces jours-là je lisais le cadeau d’une amie « Petit éloge de la poésie" de Jean-Pierre Siméon (Folio n°6983) où il est écrit : « D’une part la poésie est un combat contre la pente naturelle et fatale de toute langue, dans son usage SOCIAL (c’est moi qui souligne ) à imposer une lecture fermée et UNIVOQUE (idem) de la réalité, contre donc sa tentation totalitaire. D’autre part, la poésie nomme une farouche insurrection de la conscience contre tout ce qui ampute la vie de sa force désirante, de son aspiration même à s’affranchir de toutes limites.»
A fréquenter les familles Quart Monde c’est une expérience quotidienne, un peu comme un chemin mutuel de résurrection que nous sommes invités à vivre.
Françoise Blaise-Kopp
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