Qui humilie le pauvre outrage son créateur.

Pr 14,31 — Parole de Dieu

Le sappel

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No 83
journal du sappel / février 2012 Journal Télécharger le journal au format PDF

VOYAGE AU BRESIL

ETE 2011

Marie-Noëlle LOPEZ-DUBEUF

En évoquant notre voyage au Brésil me revient souvent le refrain de ce chant de Noël Colombier :

"Oh ! ! ce regard, je ne l'oublierai jamais !"

Oui, le regard de toutes ces personnes rencontrées dans les favelas, les quartiers de ces villes immenses, à travers ce pays qui fait 16 fois la France.

A Sao Paolo, notre fille Sarah qui finissait une année d'étude, nous attendait, dans cette mégapole d'11 millions d'habitants…, submergée par un trafic automobile intense – 7 millions de véhicules (une règlementation municipale oblige les voitures à circuler un jour sur deux)…

Où les 2 roues se faufilent parmi les embouteillages, au risque de leur vie, pour livrer à temps leurs paquets…

Où les hélicoptères emplissent le ciel de la ville de leur vrombissement avant d'atterrir sur l'une des 250 plateformes disposées sur les buildings, afin de "livrer" les hommes d'affaires à bon port dans les plus brefs délais…

Ici, nous avons immédiatement été frappés par la proximité de la grande pauvreté, SDF dans leurs abris de fortune en cartons, petits boulots de misère…, qui côtoient une immense richesse qui cherche à se protéger par des moyens parfois démesurés : immeubles fermés par des grilles, surmontés de fils barbelés et de fils électrifiés, vidéosurveillance, gardiens d'immeuble dans leurs miradors…

 

Plus au sud, à la triple frontière du Brésil, de l'Argentine et du Paraguay, les chutes de la rivière Iguaçu nous ont remplis d'émerveillement. Quelle force dans ces chutes d'eau grandioses qui se déploient dans cette nature sauvage !

A Salvador de Bahia, dans le Nordeste, Bernadette Marchand qui vit depuis plus de 30 ans dans les quartiers pauvres du Brésil, nous a accueillis avec joie ; grâce à elle, nous avons pu découvrir ce travail de fourmi qu'elle a pu réaliser avec toute son équipe. En ce début du mois de juillet, au Brésil, c'est la rentrée des classes d'hiver avec tout son grouillement de vie. Ici, les enfants ne sont scolarisés qu'une demi-journée par jour, l'association" Criança e Familia" a aménagé des bâtiments pour y accueillir des enfants pour un soutien scolaire dans leur 2° demi-journée libre.

Dans un autre endroit de la favela, un atelier d'apprentissage de mécanique auto, accueille des jeunes apprentis de 16-17 ans. L'un d'entre eux nous montre les véhicules périmés sur lesquels ils s'entraînent. Il nous dit aussi que ce qui, est important pour eux, c'est d'apprendre aussi de vivre ensemble. En effet, bien que la favela de Teresina soit déjà un peu ancienne, il y a beaucoup de trafic de drogue et de violence, ce sont les jeunes qui en sont les premières victimes. Entre 18 et 25 ans, beaucoup de jeunes sont tués soit par les gangs, soit par la police.

Cette favela a été construite sur un marécage et ils se battent pour survivre au milieu des égouts. Malgré ces difficultés, beaucoup de force et de foi dans ces personnes rencontrées.

 

"Oh ! ce regard, je ne l'oublierai jamais !"

Regard de cet homme en train de construire une cabane en bois, d'à peine 6 m², où il faut se mettre à 4 pattes pour y pénétrer quand il nous la fait visiter. Un seul hamac à l'intérieur. Il nous dit en ressortant avec un grand sourire : "Dieu nous protège !"

 

Dans le centre-ville de Salvador, nous avons la joie de rencontrer Eric, le pèlerin de la Trinité. Eric a quitté sa France natale en 1987 pour parcourir à pied, pendant plusieurs années, les pays du continent sud-américain. Pendant toutes ces années, il a côtoyé les plus pauvres, dormant, mangeant avec eux. Il est allé à la rencontre des plus abandonnés qui errent dans les rues, sûr qu'en chacun habite, au-delà des apparences les plus dramatiques, le Dieu Trinité.

Par un dimanche matin, dans cette église de la Trinité, dans les quartiers portuaires de Salvador, nous avons eu la joie de vivre l'eucharistie avec Eric et sa communauté priante des gens de la rue. Cette église qui tombait en ruine, lui a été confiée et à ses amis de la rue pour la réhabiliter et la faire vivre. A l'intérieur, un espace est réservé pour chacun afin d'y établir son petit coin de vie, son lit, ses bibelots… et au centre le chœur et l'autel pour célébrer les offices et la messe.

Petit à petit, quelques maisonnettes ont été bâties autour de l'église pour les amis qui ont décidé de faire alliance avec ces gens de la rue.

 

"Oh ! ce regard, je ne l'oublierai jamais !"

Regard de cette vieille dame qui, pendant la messe était sur sa couche dans l'église, et qui, maintenant, mange toute courbée près de moi, dans cette salle à manger aménagée en forme de tente. Quelle lumière dans le regard d'Eric qui partage toute sa vie avec ces hommes et ces femmes qui errent dans les rues de Salvador.

J'ai "dévoré" son livre "A la rencontre des exclus" , et je vous laisse en découvrir sa conclusion :

"Deux paroles resteront pour toujours gravées dans mon cœur : Antônio a quitté ses parents il y a huit ans et jamais plus il ne leur a donné de ses nouvelles. Il est parti au hasard vagabond des routes, prisonnier de la route et de la drogue… après deux accidents qui l'ont amené à faire un retour su lui-même et à méditer sur sa vie, Antônio pense aujourd'hui à retourner au sein de sa famille. Accueilli dans cette communauté en herbe, après le second accident, il a suivi alors un véritable chemin de rédemption. Un chemin semé de luttes et d'appréhension aussi. Qu'allait-il rencontrer ? Comment serait-il accueilli, jugé ? C'est vendredi autour de la croix, quand nous avons parlé du pardon et de l'amour de Dieu, qu'Antônio a dit lentement, très lentement : - Alors, Dieu est Père… Alors son jugement c'est de… …Passer la main dans nos cheveux, et de dire avec tendresse : "Ô mon fils… mon fils…"

Pendant la veillée pascale, un autre a dit, une bougie allumée à la main :

- Cette lumière vivante dans ma main, C'est Jésus dans mon cœur."

Quel mystère ! Ce peuple de la rue, souffrant, blessé, torturé, possède une sensibilité, une intelligence spirituelle de ces choses qui sont cachées " aux sages et aux intelligents" et révélées "aux tout-petis" (Luc 10:21). Comme il est capable de vivre et d'exprimer ce que nous, nous savons seulement chercher et balbutier ! Ces hommes et ces femmes de la rue sont les "Pauvres et les Humbles de Yahvé", les élus, les préférés du Père. Ils incarnent aujourd'hui le Serviteur Souffrant dont parle Isaïe (Isaïe 52) - . Comme serviteurs, ils sont "la lumière des nations" conformément à la prophétie d'Isaïe (Isaïe 49:6) ; eux, le peuple des ténèbres de la société ; eux les exclus, les rejetés des lumières du monde… Ce sont eux qui nous ouvriront les portes du Royaume. Eux qui nous inviteront au banquet des noces de l'Agneau."(1)

 

Comme tout cela consonne profondément avec notre mission au Sappel !

 

A Fortaleza, autre grande ville du Nordeste, au bord de l'Océan Atlantique, ville en pleine expansion où les hôtels poussent comme des champignons.

Bien sûr, chacun de vous connaît la "thérapie communautaire" (www.aetc.romandie.com), que nous avions découvert à Grenoble au cours d'une formation et qui va nous conduire dans cette nouvelle favela, celle de Pirambu, au nord de Fortaleza. Un centre de rassemblement de thérapie communautaire a vu le jour il y a déjà plusieurs années grâce au Dr Adalberto BARRETO, ethnopsychiatre, qui a fait une partie de ses études, en France, à Lyon et Grenoble. Au cœur de la favela de Pirambu, nous avons partagé cette journée de thérapie communautaire(TC) avec les usagers habituels. Je ne vais pas développer ici ce qu'est la TC, simplement en disant que c'est une manière de prendre soin de la souffrance des personnes.

"Oh ! ce regard, je ne l'oublierai jamais !"

Regard de cette jeune femme des MST (Mouvement des Sans Terre) qui, au début de la journée était complètement abattue et qui petit à petit s'est ouverte, relevée, en particulier quand nous avons pu échanger nos prénoms, quel sourire en nous disant Maria et Marie… Les seuls mots que nous pouvions échanger car nous ne parlions pas la même langue. Dans nos yeux, nous gardons la beauté des paysages traversés. Nous nous sommes aussi laissés enseigner par toutes nos rencontres, avec un sentiment d'émerveillement pour tous ceux qui savent mobiliser des énergies pour faire grandir la justice et la paix.

 

"L'émerveillement est une insurrection morale, un acte de résistance."

Bertrand VERGELY - Retour à l'émerveillement Albin MICHEL 2010

 

(1) p 406 - Frère Eric – Pèlerin de la Trinité - A la rencontre des exclus – Nouvelle Cité - 2000

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