Souvenez-vous du visage de l’homme le plus pauvre et le plus faible que vous ayez jamais vu. +

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Paray-le-Monial, Fêtes de la Miséricorde - II

À Paray-le-Monial, pour la 8° année consécutive, du 1er au 3 avril 2005, se sont déroulées les « Fêtes de la Miséricorde ». Voici le texte de la 2° partie de l'intervention de Pierre et Geneviève DAVIENNE, du Sappel.

Pour lire ce texte plus confortablement, vous pouvez le télécharger au format pdf.

 

Paray le Monial, samedi 2 avril 2005 

 

BARTIMEE - dans l'évangile de MARC 10,46-52

46. Ils arrivent à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse


Le Fils de Timée, Bartimée, aveugle, était assis et mendiait au bord de la route.


47. Entendant que c’est Jésus le Nazaréen il se mit à crier en disant : "Fils de David, Jésus, prends pitié de moi !"


48. Et beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise et lui encore plus fort criait : "Fils de David prends pitié de moi !"


49. Et s’arrêta Jésus en disant : "Appelez-le"


Et ils appellent l’aveugle en lui disant : " Vas-y ! Lève-toi  ! Il t’appelle."


50. Et il jette son manteau et se dresse à nouveau et s’en vint vers Jésus.


51. Et Jésus répondit en lui disant : " Que veux-tu que je fasse pour toi ? "

Et l’aveugle lui dit : "Rabbouni que je voie à nouveau" 52. Et Jésus lui dit : " Va ! Ta foi t’a sauvé !"

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Et aussitôt il vit à nouveau et il le suivait sur la route.

 

Structure de ce texte :

A- verset 46 : situation de départ : Jésus/disciples/foule et Bartimée.

B- v.47et 48 : Bartimée et foule.

C- v.49 : Jésus / foule

B’ - v.50-52 : Bartimée / Jésus

C’ - v.52c : Situation finale : Bartimée et Jésus.

 

Commentaires

INTRODUCTION :

Nous vous proposons de lire l’épisode de Bartimée avec notre sensibilité, avec les familles du QM que nous avons rencontrées. Nous avons cherché à voir comment Jésus s’y prend avec les pauvres, et avec son Église, comment il apprend la miséricorde à ses disciples, et donc peut être à nous-mêmes aujourd’hui. Il s’agit donc d’une lecture particulière parmi d’autres.

La Parole de Dieu est tellement riche qu’il y a place dans la Tradition de l’Eglise à de nombreuses interprétations dans la mesure où se sont des interprétations croyantes et des interprétations qui tiennent comptes de certaines règles.

Les Évangiles sont là pour témoigner de la présence du Christ mort et ressuscité dans la communauté chrétienne primitive et donc dans la communauté chrétienne d’aujourd’hui. Encore faut-il l’interpréter et l’actualiser. Donc il s’agira d’un commentaire particulier de la Parole de Dieu. Puisse-t-il inciter chacun à faire le sien et à parvenir au seuil du Mystère de l’amour de Dieu !

 

3 parties : Contexte/Structures /et reprise verset par verset.

Contexte

- juste avant l’entrée à Jérusalem chapitre 11 donc de la pPssion-Résurrection.
- juste après la 3° annonce de la Passion et une grande discussion sur "qui est le plus grand" ; Jésus s’annonce comme le serviteur qui donne sa vie en rançon. (v 45)
- Il y a donc un événement, une guérison qui est un véritable enseignement :

qu’est-ce que ça veut dire de suivre le Christ ? et de le suivre jusque dans sa mort. Quel est la place et le rôle du disciple ? Ce faisant, Jésus nous enseigne comment recevoir les pauvres, leur donner la place qui est la leur au coeur de la communauté.

 

Structure

Le texte est structuré par deux changements :
- un homme est aveugle et il voit
- un homme est immobile au bord de la route et il marche au centre.

5 parties en chiasme avec à chaque fois 2 sous-parties : C’est une merveille de composition. force de contenu et force dans la manière...

A- verset 46 : situation de départ : Jésus/disciples/foule et Bartimée.

B- v.47et 48 : Bartimée et foule.

C- v.49 : Jésus / foule

B’ - v.50-52 : Bartimée / Jésus

C’ - v52c : Situation finale : Bartimée et Jésus.

 

Analyse par partie

A. Situation de départ 

Jésus est entouré de plusieurs cercles : disciples et foules ; comme aujourd’hui dans l’Eglise : différents cercles et puis ça marche tant bien que mal... on imagine une certaine allégresse, des cris des chants, une Eglise en marche quoi... une Eglise qui avance... Et puis il y a le fils de Timée, Bartimée. Timée veut dire en grec : honneur ( on a Timothée : honneur de Dieu.) et Bar en araméen = fils ;donc on a "fils de l’honneur"... pas mal pour un mendiant. Marc prend la peine de nous traduire son nom, mais avant de citer son Nom. Marc aurait du dire normalement : “Bartimée, ce qui veut dire fils de Timée” comme cela se passe dans d’autres passages de l’évangile. Il y a une importance dans l’ordre des mots qui va s’éclairer dans la suite du texte.

Qu’est-ce-qu’il est, qu’est ce qu’il fait cet homme ?

 

Aveugle : 3 niveau de sens 1) handicap, déficience 2 )marque comme toute maladie d’esprit mauvais, de péché 3) marque d’une impossibilité d’être adulte dans la foi. Dans l’ensemble de la Bible, il y a des listes de pauvres de boiteux et d’aveugles (et dans la 2° Alliance : Lc 7,22. 14,13 et 21 ainsi que Mt 11,5) Ces listes n’arrivent pas par hasard. Elles circulent pour désigner des gens qui ne peuvent participer aux sacrifices des fêtes de pèlerinages. Dans la tradition rabbinique nous trouvons ces listes : (Mekilta de Rabbi Ishmaël : sur Exode 23,14 : Trois pèlerinages tu feras “ regalim " en hébreux veut dire "pieds" mais aussi "pèlerinage". Cela vise ceux qui vont avec leurs pieds, pour exclure les boiteux.” et en Exode 23,17 “ta population mâle sera vue“ (on peut lire verra) pour exclure les aveugles." donc il existe au temps de Jésus des “listings” de gens mis sur la touche. Le fait d’être aveugle ne lui permet pas de participer à la "vision réciproque " où Dieu voit son peuple et où Dieu est vu par son peuple. Il y a donc une exclusion religieuse.

 

assis : il n’est pas au même niveau que les autres. il est à la hauteur des enfants et des chiens.... Tout le monde est en mouvement, en marche, sauf lui.

 

mendiant : il est dépendant du bon-vouloir des autres ; même si dans le judaïsme du temps de Jésus l’aumône était organisée par la synagogue. (2 distributions par semaine en dehors de shabbat pour les résidents et tous les jours pour les gens de passage.)

 

au bord de la route : il est en dehors du mouvement de l’histoire, du mouvement, de l’organisation de l’Eglise...

 

aujourd’hui : la situation du Quart-Monde ? Le désir de nos communautés est bien sûr d’accueillir tout le monde, dans le Christ, sans aucune barrière de ce type, mais concrètement, les plus pauvres n’osent pas venir : - ils n'ont pas les mots pour s’exprimer - situations matrimoniales compliquées - sous le regard des autres dont ils se sentent jugéset  préfèrent ne pas affronter les autres - notre langage qui ne les rejoint pas. - en dehors de la messe, ils ne voient personne. - pour célébrer, difficultés de réunir l’argent, la famille, la paroisse en même temps.

 

B. V47 et 48 :
Il est aveugle, mais pas sourd...


Jésus le Nazaréen : on a du mal à se rendre compte à quel point ce titre est méprisant et méprisable : Galilée : pays converti depuis peu ;120 ans ; donc population mélangée, pas de juifs authentiques ; ils parlaient avec l’accent... du Nord donc incorrect pour Jérusalem ; considérés comme des paysans. Il y a des choses très dures dans le Talmud contre les Galiléens.


Fils de David, Jésus... Il y a là quelque chose d’inouï dans la formule de Bartimée. Il aurait pu simplement reprendre la formule entendue : Jésus de Nazareth ! Non, le Fils de Timée, Bartimée crie : “Fils de David, Jésus” . Il y a dans la similitude des formules comme une connivence. Le Fils de Timée, l’exclu, le lointain est celui qui saisit le mieux, au plus proche, qui est Jésus. Il est le fils de David, donc le Messie. L’aveugle est celui qui voit mieux que ceux qui l’ont informé qui est Jésus. Vous voyez le formidable travail du texte... C’est de la dentelle... Pourtant l’évangéliste Marc est avare de formule messianique. Pour Marc, c’est sur la Croix que Jésus sera vraiment reconnu pour ce qu’il est, c’est-à-dire Fils de Dieu.

 

aujourd’hui : reconnaître l’intuition des pauvres.

V 48. Beaucoup le rabrouaient : attitude classique de faire taire les pauvres : On leur reproche souvent de casser l’ambiance, les euphories, d’être le grain de sable, de ramener leurs besoins personnels, de raconter leur vie alors que ce n’est pas le moment.

 

mais lui encore plus fort criait : la ténacité des pauvres, la prière des pauvres ce n’est pas du chiqué. La foi des pauvres c’est vital, pas un surplus de culture.

                                        La prière de Bartimée est devenue "la prière du coeur"

 

C. v49 : Jésus s’arrête. Il est capable de stopper une foule. Il rejoint l’aveugle sur son terrain. Il rejoint la fixité, l'immobilisme de Bartimée.

aujourd’hui : rejoindre les pauvres comme ils sont.

 

Jésus envoie des disciples chercher Bartimée. Il aurait pu le guérir de loin comme il a fait pour le fils ou le serviteur du centurion. Mais là, il indique une constante de la vie de l’Eglise : aller aux marges. Nous ne sommes pas dans une relation duelle. Jésus donne des médiations. Ses envoyés obéissent et même encouragent : ils utilisent un mot très important : "égeirein" : mot de la résurrection. Au deux cris de Bartimée correspond trois fois le mots"’appeler” (phonein). Il y a comme une surenchère devant les cris des pauvres qu’il faut honorer. Les disciples disent à Bartimée que Jésus l’appelle. Il n’en est rien dans le texte. C’est Jésus qui leur a dit de l’appeler. Mais ils comprennent que s’ils appellent un pauvre, c’est le Christ lui même qui appelle.

 

B’ - v 50-52

Il jette son manteau. Dans la bible, le manteau, c’est d’abord ce qui fait la dignité de l’humain. Dieu couvre Adam et Eve après le péché. Ensuite, c’est le rôle social, c’est la mission, la vocation. Bartimée change de peau, il change de destin. Il accepte de se dépouiller du vieil homme... Il rejette son statut d’homme assisté. Il risque gros. Ce geste vient comme en contre-point avec ce qui précède ce passage : les apôtres veulent avoir les meilleures places, alors que Jésus annonce qu’il va perdre sa vie. Le disciple, c’est celui qui accepte de quitter le peu qu’il a pour suivre Jésus jusqu’ à la croix et donc jusqu’à la vie.

 

se dresse à nouveau : Le suffixe “ana” en grec s’interprète comme ce qui vient d’en-Haut, ou bien il peut s’interpréter comme ce qui était avant, donc de nouveau. ça veut dire qu’il fut un temps où il a été debout. Personne ne peut sauver un autre en tant que tel ; on peut juste révéler à l’autre ce qu’il est, ce qu’il a été ou sera un jour peut-être ; ou en tout cas, à quoi il est appelé. Importance de situer les pauvres et donc tous les hommes comme des êtres promis à la gloire de la Trinité, comme des fils et des filles de Dieu. (On se moque du monde si on ne va pas jusque là dans l’espérance qu’on partage avec les pauvres. On se moque d’eux.)

 

Bartimée va vers Jésus. Il est encore aveugle !!! pas besoin d’être bien pour s’approcher de Jésus. C’est dans le noir qu’il marche vers lui. Il bouge.

 

Jésus répond en lui posant une question... pas mal !! ça c’est de la pédagogie ! Jésus répond en faisant de Bartimée un acteur de sa guérison. C’est lui qui décide. Il permet au pauvre de dire ce dont il a besoin. Il donne la parole au pauvre, au coeur de la communauté, la rendant ainsi témoin et participante. Il y a là une vrai leçon de relation, de relation d’aide et de relation tout court. Rendre l’autre sujet, acteur de sa vie, de sa propre libération, et faire du groupe une caisse de résonance de la Parole des pauvres qui est déjà réponse de Dieu. Il y a là comme une anticipation de ce qu’est l’Eglise. C’est le lieu où le Royaume de Dieu est annoncé, vécu parce que le cri des pauvres et leur espérance sont reçus attendus, désirés. L’Eglise, c’est le lieu où l’amour sauveur du Père, par le Christ est manifesté aux pauvres donc manifesté à tous les humains. Il y a derrière la question de Jésus tout le respect que Dieu a de l’humain. Il y a comme un goût du livre de la genèse où Dieu qui se promène à la brise du soir demande à Adam : “Où es tu ?” Rachi, le commentateur juif du moyen-Age traduisait : “Où en es-tu ?” Dieu s’intéresse à l’humain. Et les situations qui sont sur le bord, sont pour lui l’occasion de montrer à tous ce qu’il désirent pour chacun.

 

Rabbouni : Rab, c’est Grand en hébreu, Rabbi, c’est :” Mon grand” c’est à dire mon maître, et rabbouni, c’est un terme affectif, tendre qu’on pourrait traduire par mon petit maître. C’est incroyable cette espèce d’intimité que Bartimée a avec Jésus ; c’est du coeur coeur, c’est l’audace ou l’insolence des enfants ou des pauvres qui vont droit au coeur de ceux qu’ils rencontrent. “Si vous ne redevenez comme des enfants...”

 

"Va ! Ta foi t’a sauvé !” va ! Jésus entraîne l’homme qui était un objet passif à poursuivre la route. Tout commence. L’intimité de la rencontre du pauvre avec Dieu débouche sur une mission. Dépouillé de son statut d’inférieur, il peut partir au loin. Ta foi t’a sauvé. Jésus met la foi au coeur de la guérison et au coeur de la mission.

 

A’ - SITUATION FINALE.

voit à nouveau : sa clairvoyance spirituelle est signifiée par sa clairvoyance physique, il le suivait sur la route. En grec, le mot est “acolotéo “ cela a donné en français “acolyte”. Il ne s’agit pas de suivre bétement, mais de suivre en devenant acolyte, associé, ami.

 

Conclusion

C’est merveille que de voir Jésus agir avec les pauvres pour manifester la miséricorde du Père et en même temps former ceux qui l’entourent à accueillir celui qui et à la marge pour le bonheur de tous.
1 Il a l’oreille fine.
2 Il comprend en profondeur leur désir.
3 Il stoppe l’avancée d’un groupe qui fait taire le cri des pauvres.
4 il met dans le coup d’autres personnes pour ramener de la marge et mettre au centre ceux qui demandent pitié.
5 Il donne la parole aux pauvres au coeur de la communauté.
6 Il fait de la communauté le témoin de la vraie libération
7 Il envoie en mission.

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