Qui humilie le pauvre outrage son créateur.

Pr 14,31 — Parole de Dieu

Le sappel

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No 67
journal du sappel / Avril 2006 Journal

Les Conférences St Vincent de Paul

Les Conférences St Vincent de Paul Nous poursuivons notre recherche, pour découvrir ceux qui nous ont précédé dans la pastorale auprès des plus pauvres, et qui les ont rencontrés pour partager leur foi en Christ. Anne Sizaire, journaliste, a dépouillé une partie des publications des "Conférences St Vincent de Paul" au moment de leur fondation ; elle découvre que cette préoccupation était déjà présente chez les confrères. "Comment représenter le Sauveur, humble et doux, méprisé par les hommes mais faisant le bonheur des Anges, sinon par les pauvres qui ont le privilège de perpétuer ce mystère, de faire revivre Jésus, dans son existence indigente et cachée". (extrait de l’homélie du curé de St-Sulpice, lors de l’inauguration de "Nazareth", maison de retraite ouverte à l’intention des vieux ouvriers par la "Conférence" St Vincent de Paul de Paris, en 1848). Frédéric Ozanam, disciple de Pauline Jaricot, élève de l’abbé Noirot, professeur de philosophie au collège de la Trinité, ami d’André-Marie Ampère et de Pierre-Simon Ballanche, Saint-Simonien, écrivain chrétien dans la tradition des mystiques lyonnais, crée à vingt ans, à Paris, en 1833, les "Conférences de Charité de St Vincent de Paul". Deux ans plus tôt, la révolte des Canuts lui a fait prendre conscience de la misère de ceux qu’il côtoie tous les jours, dans son quartier des Terreaux, à Lyon. Ses "Conférences" doivent permettre d’apporter une aide personnalisée aux "blessés de la vie". "Le fossé grandissant entre riches et pauvres, entre forts et faibles ne pourra être comblé que par la justice et l’amour" écrit-il. Quinze ans plus tard, à la veille de la révolution de 1848, il fait scandale en invitant les catholiques à "passer aux barbares", comme le disait déjà Saint-Augustin, autrement dit à la République. Il meurt en 1853, âgé d’ à peine quarante ans et isolé par le courant de réaction sociale. Il meurt tandis que son oeuvre donne beaucoup de fruits : les "Conférences", réunies au sein de la Société St Vincent de Paul, se multiplient en France et ailleurs. En 1953, elles sont déjà présentes dans dix-sept pays. De nos jours, quatorze mille membres actifs agissent au sein de plus de mille "Conférences" en France. Et il y a quarante-cinq mille "Conférences" dans le monde, réunissant près d’un million de membres.

Les premières réflexions Les premiers bulletins de la société St Vincent de Paul datent de l’année 1848. Les "Conférences" sont donc déjà nombreuses, un peu partout à travers l’hexagone, regroupées par régions. Ses membres, qui se nomment entre eux "confrères", sont présentés d’abord comme pieux...(la calamité du XIX siècle...). Et l’on touche là à toute l’ambiguïté de la démarche de secours aux pauvres : lors de l’assemblée générale de 1850, il est rappelé que le premier et le plus important but des "Conférences" est de procurer le bien spirituel à ...ses propres membres, le moyen utilisé étant les visites aux malheureux. En sondant les plaies de la pauvreté, le "confrère" opère un retour sur lui-même. L’exemple des "bons" pauvres fait son édification, tandis qu’il se sent poussé à l’exaltation de la charité envers les "mauvais" pauvres... Lors de cette assemblée, il est cependant, souligné que des visites longues, à l’écoute, valent plus qu’un secours matériel et que "peut-être, n’étudions nous pas assez les besoins religieux des familles visitées". Le mot religieux ou spirituel revient, cependant, rarement : la "Conférence" de Valenciennes, qui secourt environ deux cent familles, précise ainsi : "L’aumône matérielle n’est qu’un moyen, un "passeport" pour atteindre un but plus précieux : l’amélioration morale du visité et du visiteur". A noter que si le second "gagne son paradis", qu’attend-t-on exactement du premier : qu’il échappe au moins à l’enfer ? Qu’il sache se "conduire", se "tenir" au moins dans ce monde, faute d’atteindre l’autre ? Sans que cela semble poser question à personne, la pauvreté matérielle semble systématiquement associée à l’indigence spirituelle...Dans le meilleur des cas, une certaine "moralité" semble espérée... Cependant, fort heureusement, d’autres témoignages affluent, laissant percevoir de véritables rencontres : "L’homme pauvre n’est pas ingrat, il est malheureux. Allez le visiter comme un ami, comme un frère et vous verrez la joie briller dans ses yeux : il était malade. Quand il comprit que nous venions le voir en amis, il ne sut comment nous remercier. Il nous offrit des fleurs des champs et sa prière, pour nous". Certains font part de leur émotion et de leur admiration : atteint d’une maladie incurable, ce jeune homme allait mourir et il le savait. Sans famille, isolé et démuni, il n’avait pas eu grand chose de la vie et déjà la faucheuse s’annonçait. Il voulut absolument donner deux cent francs, presque toutes ses économies, au "confrère" qui le visitait : "Cet argent vient de la charité, il faut qu’il retourne aux pauvres, dit-il".

De nombreuses initiatives En dépit de ces ambiguïtés, les "Conférences"" se sont données pour but l’assistance matérielle, et spirituelle, des pauvres et elles le font :
• A Poitiers, création d’une oeuvre des apprentis, réunissant une quarantaine de jeunes gens, chaque dimanche, dans un local transformé en chapelle. Un des membres de la "Conférence" Poitevine a pris sous son toit trois petits ramoneurs à qui il offre la soupe quotidienne, plus une heure de catéchèse.
• A Voiron (38), création d’une oeuvre de travail pour les fileuses, dans cette région déjà touchée par les suppressions d’emploi...
• A Langres, la "Conférence" s’occupe des enfants des rues. Ses membres les recueillent, les logent et les nourrissent, avec comme unique obligation pour eux de fréquenter l’école des Frères.
• A Nancy, plus de six cent familles sont secourues. Ici, on a déjà inventé la bibliothèque de rue chère à ATD / Quart-Monde. Trois salles de prêt sont installées dans des locaux rudimentaires, proposant vingt-sept mille volumes à deux mille sept cent lecteurs. Désir de partager de "bonnes lectures", associé au souci de l’éducation religieuse des enfants. Dans ce cas comme dans de nombreux autres, les membres de la Société St Vincent de Paul font preuve d’une réelle intelligence pédagogique. Leur méthode se veut douce : il s’agit d’attirer les jeunes par des loisirs plus attrayants que ceux de la rue, des activités, "suffisamment agréables pour faire contrepoids aux mauvaises compagnies".
• A Paris, ouverture de "Nazareth" maison de retraite placé sous la protection de la Sainte Famille, "pour ceux qui n’ont ramassé que les ans et les infirmités, après toute une vie de travail". Située dans une vaste maison, rue Notre-Dame des Camps, "Nazareth" propose vingt chambres, calmes, claires et jolies à de vieux couples.

Une fidèlité patiente Outre les activités générales de chaque "Conférences", les bulletins sont riches d’histoires de suivi individuel des personnes, souvent chaotiques, toujours émouvantes. Les membres de la "Conférence" St Thomas d’Aquin ont commencé à rendre visite à la famille S. en 1845. Le père est fugueur, violent, sans moralité ni religion. Il maltraite sa femme dont la santé se détériore de mois en mois. Les "confrères" s’inquiètent aussi pour les enfants de huit et douze ans. Mais, ils ne se découragent pas : après deux ans de patience, ils finissent par arriver à dialoguer avec le mari qui communie lors des fêtes de Pâques en 1847. (l’histoire ne dit cependant pas s’il est vraiment devenu bon père, bon époux, etc., comme si la communion de Pâques entraînait, de facto, un radical changement d’existence...). Les "confrères" ne sont pourtant pas au bout de leur peine avec cette famille : voici que le fils aîné, placé en apprentissage, devient à son tour incrédule...Et, là, dans le genre conversion, ils font très fort : le jeune finit par entrer comme novice chez les frères des écoles chrétiennes, en 1850 !
• Les neufs membres de la petite "Conférence" de "Collioure" ont pour leur part accompagné celui que personne ne voulait plus voir : le malheureux avait le visage rongé par un cancer. Objet de moqueries ou de dégoût, il s’était enfui de l’hôpital. Sa famille lui avait à peine ouvert la porte et l’avait finalement parqué dans une toute petite pièce, jamais nettoyée, car il faisait horreur à tous. Les visiteurs de la "Conférence" allèrent le voir. Ils se mirent à ranger et aérer, le réconfortèrent par leur passage presque quotidien : il rendit l’âme au Dieu de Miséricorde. En 1851, la Société St Vincent de Paul compte plus de sept cent "Conférences". Elle a déjà atteint les deux tiers de sa taille actuelle à l’échelle de l’hexagone... Certaines ont essaimé en Europe, en Irlande par exemple, et il y en a même une au Canada. Cette année-là voit aussi la création de l’oeuvre des écoles du soir pour les enfants employés dans les manufactures et celle des "petites Conférences". Il s’agit de groupes de jeunes déjà secourus par la Société qui, à leur tour, apportent de l’aide aux familles en grande difficulté.

Un souci de spiritualité Autre invention particulièrement intéressante : celle des "Saintes Familles". Il s’agit d’inciter les familles connues à se retrouver, ensemble et avec les "confrères", pour la messe dominicale : "Là, se continue l’évangélisation des pauvres, ceux dont Jésus-Christ lui-même a donné comme signe distinctif de son église." Apparemment, les "confrères" ont le même problème que le "Sappel" aujourd’hui : les familles très pauvres ne vont pas à l’église, car elles ne s’y sentent pas accueillies, car elles ont honte de leur misère... Alors, les "Conférences" organisent leurs propres messes, où le prêtre prend soin de faire une homélie "sur-mesure" sans aucun mot qui puisse humilier mais, au contraire, dans le souci d’honorer et relever, à leurs propres yeux, les familles concernées. Cette initiative entraîne une immense reconnaissance des intéressées qui se croyaient abandonnées de tous. En 1852, il existe sept "Saintes Familles" sur Paris. Celle de St-Sulpice est la plus ancienne. Les personnes qui y viennent ont pris de l’assurance et sont très assidues : un succès quand on sait que 90 % d’entre elles ne pratiquaient jamais ! Il y a aussi la "Sainte Famille" des chiffonniers, dans le XII° arrondissement. Celle du quartier Dupleix (qui ressemble, à cette époque à un vague terrain vague) se réunit dans un vieux hangar transformé en chapelle. Pour faire venir les plus réticents, les "confrères" n’hésitent pas à présenter la messe dominicale comme une véritable fête, laquelle est souvent suivie d’une loterie... Les célébrations organisées par les "Saintes Familles" se font en accord avec le curé de la paroisse qui délègue alors un prêtre, mais le président est toujours laïc.

Anne SIZAIRE

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