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Saint Irénée — Parole de sages

Le sappel

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No 65
journal du sappel / Septembre 2005 Journal

Céara.... sur les traces d’Alfrédinho

Céara… sur les traces d’Alfredinho.

Une jeune étudiante, amie du Sappel est partie une année au Brésil, pour faire un mémoire. Elle y a découvert les fraternités du Serviteur Souffrant, fondées par Fredy Kuntz, et dont nous avons parlé plusieurs fois dans le journal du Sappel. Fredy,surnomé Alfredinho, était un prêtre français, des Fils de la Charité ; il était engagé avec les plus pauvres en refusant toute compromission avec la violence.

“Il y a plusieurs définitions de « l’intérieur », certains dictionnaires parlent de l’arrière-pays encore inculte et arriéré ! D’autres explications mentionnent simplement le fait que les colonisateurs n’ont occupé que le littoral du Brésil. “L’intérieur” est donc resté jusqu’à aujourd’hui complètement inconnu du monde… Les gens y vivent comme au XVIIIè siècle. Alors pour vous situer, je suis partie dans “l’intérieur” du Céara, état du Nordeste, à une heure de piste de la ville de Cratéus, dans la petite ville de Poranga.

Une colline surplombe la ville, et au sommet, trône une petite chapelle de pierre, une merveille, unique en son genre dans le Nordeste… Là, vit depuis 25 ans, Margarette, une sœur Belge. C’est Fredy Kunz qui l’a envoyée là, dans cette zone désertée par l’Eglise. C’est donc dans la spiritualité du Serviteur Souffrant, que Margarette s’est immergée, dans ce peuple condamné à la pauvreté. Depuis 6 mois Téresinha l’a rejointe. Cette femme, a décidé de partager sa vie avec les plus pauvres. Elle a partagé la faim et la soif des habitants de Cratéus durant la grande sécheresse. Ce « petit bout de bonne femme » sème des fraternités partout où elle passe. Elle est impressionnante. Je me suis tellement bien entendue avec elle que c’est finalement en sa compagnie que je passerai 3 semaines à visiter des familles.

Dans cette région de Cratéus, la végétation ressemble à ces paysages désolés de fin d’hiver en France, lorsque le soleil a retiré à la forêt sa couverture blanche. Il ne reste alors que des arbres noirs, morts de froids, encore ensevelis dans l’oubli. C’est sec, toujours plus sec. Mais les zones habitées sont comme de petites tâches de vie dans ce paysage désertique. Chaque maison est une tâche de lumière turquoise sur la terre rouge. Je me rince les yeux de couleurs et de lumière.

Qu’est-ce que j’ai fait à Poranga ? C’est la question que tout le monde me pose. Mais quel intérêt peut-il y avoir à aller se dessécher les os dans le Sertao, dans cette région aride et inculte ? C’est pas très compliqué, j’ai commencé par essayer de comprendre la démarche dans laquelle Margarette, puis Térésinha sont venues s’immerger. Il m’a fallu peu de temps pour comprendre qu’on était bien sur la même longueur d’onde, pour le reste, j’ai partagé la vie de ces femmes au côté du « peuple », comme on dit ici. L’immersion à été radicale. Le premier soir, Margarette me demande si je veux accompagner Térésinha prier autour d’un jeune du village en pleine dépression. Oui. Et voilà que se déploient sous mes yeux les premiers visages de la fraternité du Serviteur Souffrant. On arpente les rues noires dans la nuit, malgré l’heure on passe de maison en maison. Qui vient, qui vient pas… 1 femme, 2 femmes, 3 femmes, on repart à 4 vers la maison du “menino”. On est accueilli par les sœurs et la mère. Sirassim ne veut pas se lever. C’est pas grave, on prend nos chaises, nos carnets de chants et on va s’installer autour de lui et du hamac qu’il n’a pas quitté depuis plusieurs jours…Térésinha explique chacune des paroles qu’elle prononce, le sens de chaque chant est repris en fonction de la détresse qu’il vit. « Tu es le serviteur de Dieu » « Dieu t’aime infiniment… il a besoin de toi… » Aux premiers mots de Térésinha, le menino se met à crier « Me ajuda deus. !!! » C’est le cri de l’espérance. Je pleure tout ce qu’il me reste de larmes, je sais que je suis en train de vivre un moment qui restera gravé dans ma mémoire, dans mon cœur. Qu’il y a t-il d’autre à faire que prier face à une telle situation ! Il n’y a pas un sou à la maison pour se soigner. D’ailleurs, il n’y a pas de psychiatre non plus ! Alors on chante, terriblement mal, mais on chante ! De la même façon, je participerai à toute la dynamique de la fraternité durant 3 semaines… Chaque semaine, temps de prière, temps d’approfondissements biblique (qui finissent en débat politique où les cœurs s’enflamment pour exprimer toutes les humiliations qu’ils vivent). C’est impressionnant de voir le niveau de réflexion de ces hommes et de ces femmes qui pour la plus part sont illettrés… Belle leçon. J’ouvre grand mes yeux et mes oreilles. Pour une fois, je me tais ! Je participe aussi à l’atelier d’artisanat où les membres de la fraternité redécouvrent petit à petit qu’ils ne sont pas des incapables, mais l’auto-dévalorisation et le manque de confiance reste important. En tout cas cet atelier est un moment de grande convivialité, ça vaut de l’or. La ville étant minuscule et les personnes totalement inoccupées, le nombre de rencontres et d’actions collectives est important…

Le reste du temps, je visitais des familles avec Térésinha. Souvent, c’était des familles qui ne pouvaient pas participer aux activités de la fraternité, parce qu’un membre de la famille était malade ou souffrant. Dans ce milieu si aride du Sertao, Margarette qui habite dans cette petite Eglise de pierre, a réussi à faire pousser un jardin de fleurs et de plantes magnifiques... un tache de vert dans ce désert de terre rouge... un havre de paix et de prière. Bref, cet endroit est magnifique, mais pour l’entretenir nous passions tous les soirs une heure et demi à arroser les plantes, un travail parfois pesant à tirer l’eau du puit et à courrir dans tous les coins du jardin. Un soir, j’étais énervée que Margerette ne mette pas en place une organisation avec les habitants pour que chacun participe et vienne aider. Ce jardin est en effet un lieu pour les habitants qui viennent parfois le soir y prier ou trouver un peu de silence.

Alors, un jour j’ai insisté auprès de Térésinha pour que l’on invite les gens à venir nous aider. Il me semblait que ce pouvait être une activité non seulement dynamisante, mais utile... et puis les fleurs ne demandent pas d’effort relationnel, elles sont déjà pleines de vie... après plusieurs jours, surprise ! Le " ménino" est venu lui-mème nous aider à arroser. Il est revenu quelques jours de suite et nous avons fini par une prière dans la chapelle de pierre. Une prière devant Dieu, rien que pour lui. c’était super beau !

Voilà un peu l’esprit de ces trois semaines. Communion avec les plus pauvres, rencontres bouleversantes… Chacune aiguise un peu plus en moi, la conscience de tout ce que j’ai à apprendre des pauvres et tout ce que j’ai à désapprendre de la société dans laquelle j’ai grandi.”

Pascaline Nove-Josserand

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